Guerre en Ukraine L’attaque russe avec une arme à sous-munition sur Lyman serait un crime de guerre
L’attaque russe avec une arme à sous-munition qui a fait neuf morts à Lyman, dans l’est de l’Ukraine, pourrait être considérée comme un crime de guerre, avertit l’ONG Human Right Watch.
L’utilisation répétée d’armes à sous-munitions par la Russie depuis le début de son invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022 a tué et blessé des civils, endommagé des biens civils et contaminé des terres agricoles. Les armes à sous munitions sont interdites en raison de de leur mode de fonctionnement sans discernement, et du danger à long terme qu’elles représentent pour les civils. L’attaque contre Lyman devrait faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre.
« Bien que la Russie ait affirmé ces dernières semaines n’avoir jamais eu recours aux armes à sous-munitions en Ukraine, la liste des attaques meurtrières russes employant ces armes continue de se rallonger », a déclaré Ida Sawyer, directrice de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Cette attaque, si elle est confirmée, démontre une fois de plus le mépris de l’armée russe pour les civils et pour les contraintes juridiques internationales s’appliquant aux guerres, ainsi que le caractère mortel et indiscriminée de ces armes ».
Le 8 juillet vers 9 h 55, des explosions ont retenti dans un quartier résidentiel du centre de Lyman, dans la région de Donetsk, à 15 kilomètres à l’ouest du territoire ukrainien occupé par la Russie. Trois témoins, dont deux médecins dont les déclarations ont été relayées par des informations publiées en ligne par les autorités ukrainiennes, ont indiqué qu’au moins neuf civils avaient péri dans cette attaque et que plus d’une douzaine d’autres, âgés d’une trentaine d’années à plus de 70 ans, avaient été blessés. Human Rights Watch a déterminé que l’attaque avait été menée avec une roquette à sous-munitions Smertch de la série 9M55K, contenant 72 sous-munitions à fragmentation 9N235.
Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec cinq personnes–une personne arrivée sur place quelques minutes après l’attaque, un expert en munitions explosives qui a analysé les fragments de la munition, des médecins civils et militaires qui sont intervenus lors de cette attaque, et un habitant de Lyman qui connaît le quartier qui a été touché. Les chercheurs ont également analysé et vérifié 32 photos et vidéos mises en ligne, prises pendant et après l’attaque, des images satellite de Lyman et de ses environs, des diagrammes, des photos de fragments d’armes à sous-munitions liés à l’attaque et fournis par les autorités ukrainiennes, ainsi que d’autres informations officielles sur l’attaque, provenant de sources gouvernementales.
L’attaque s’est produite à l’intersection des rues Nezalejnosti et Doubonosa où une vingtaine d’habitants de ce quartier densément bâti s’étaient rassemblés pour échanger des produits laitiers et des produits frais de leurs jardins, comme ils le faisaient la plupart du temps le matin, selon deux personnes interrogées. Il semble que les victimes comprenaient des personnes qui achetaient et vendaient des marchandises, ainsi que des piétons qui se trouvaient à proximité.
« J’ai vu six morts, hommes et femmes », a déclaré un témoin. « Nous avons mis 13 blessés dans des ambulances et nous les avons transportés à l’hôpital. Ils étaient blessés aux jambes, à l’estomac, à la tête et aux mains ». Une femme gravement blessée à la tête est décédée en route vers l’hôpital, a indiqué un infirmier. Deux autres blessés seraient décédés le lendemain. Le directeur d’un hôpital de Lyman a déclaré que 19 civils avaient été blessés lors de l’attaque, dont certains ont été soignés les jours suivants.
Le jour de l’attaque, le procureur régional chargé des crimes de guerre a annoncé la mort de 7 civils âgés de 52 à 71 ans dans cette attaque. Le lendemain, la police nationale a indiqué que le nombre de civils décédés était passé à neuf.
Human Rights Watch a reçu des informations selon lesquelles entre 10 et 20 membres du personnel militaire ukrainien ont également été blessés lors de l’attaque. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer le nombre exact des soldats qui se trouvaient dans la zone au moment de l’attaque, ni la raison de leur présence, ni le nombre exact de victimes militaires.
Les personnes les plus gravement blessées ont été transférées par le personnel médical militaire dans les hôpitaux des villes de Kramatorsk et de Sloviansk, situées respectivement à 20 et 30 kilomètres de Lyman. Le directeur de l’hôpital de Lyman a déclaré avoir vu des blessures par fragmentation, des fractures osseuses et des blessures à la tête. « Il y avait des perforations et des lacérations, ainsi que des plaies fermées, ouvertes et tangentielles », a déclaré un autre médecin. « Il y avait des blessures aux membres, à la tête, partout. La personne la plus jeune que nous ayons secourue était une femme qui souffrait de lésions crânio-cérébrales ouvertes. Elle est décédée sur le chemin de l’hôpital d’une autre ville. Elle avait entre 35 et 37 ans. »
Les armes à sous-munitions peuvent être larguées par avion ou par des missiles, roquettes ou autres projectiles lancés depuis le sol. Elles s’ouvrent en plein vol et dispersent des dizaines, voire des centaines de sous-munitions plus petites (parfois appelées « mini-bombes », sur une zone de la taille d’un pâté de maisons. De nombreuses sous-munitions n’explosent toutefois pas au moment de l’impact initial, laissant des ratés non explosés qui agissent comme des mines terrestres et constituent une menace pour les civils pendant des années, voire des décennies.
Des photos et des vidéos partagées avec Human Rights Watch ou mises en ligne montrent des traces de fragmentation incrustée dans l’asphalte et les murs qui correspondent à la dispersion de fragments métalliques préformés provenant de sous-munitions. Les restes visibles sur les images, notamment des ailerons de stabilisation rectangulaires en métal noir, ainsi que des fragments préformés de deux tailles distinctes, confirment que l’attaque a fait usage de sous-munitions à fragmentation 9N235.
La portée des roquettes à sous-munitions Smerch de la série 9M55K, comprise entre 20 et 70 kilomètres, place Lyman à portée de ces roquettes depuis le territoire occupé par la Russie. Au moment de l’attaque, la ligne de front se trouvait à environ 15 kilomètres de Lyman. Au début du mois de juillet, le ministère russe de la Défense avait affirmé avoir utilisé au moins deux fois des roquettes Smerch dotées d’ogives non spécifiées en Ukraine, dont une fois au moins à proximité de Lyman.
Le quartier qui a été attaqué le 8 juin se compose d’immeubles résidentiels peu élevés, d’une petite place avec un jardin, d’une épicerie et d’autres magasins. Le magasin de pièces détachées a été fortement endommagé. Les détonations de plusieurs sous-munitions ont également déclenché un incendie qui a détruit trois voitures. Les explosions et fragmentations ont également endommagé trois autres voitures et une maison de plain-pied située à proximité du magasin.
L’attentat visait le centre de la partie nord de Lyman, traversée par ce qui a été un important nœud ferroviaire régional. Les voies ferrées et les gares peuvent constituer des cibles militaires légitimes car elles peuvent être utilisées par les belligérants à des fins militaires. Le système ferroviaire de Lyman a été détruit lors de l’invasion russe de 2022. L’analyse des images satellites, des photos et vidéos mises en ligne et des témoignages confirment que le chemin de fer est toujours hors service et qu’il ne saurait donc constituer une cible militaire légitime.
Lyman a fréquemment été attaquée en raison de son emplacement stratégique depuis 2014, quand la Russie a commencé à occuper plusieurs parties du territoire ukrainien. Lyman est très proche de la ligne de front mais reste sous le contrôle des forces ukrainiennes.
Bien que la Russie affirme ne pas avoir utilisé d’armes à sous-munitions en Ukraine, Human Rights Watch a documenté de multiples attaques aux armes à sous-munitions par les forces russes, qui ont entraîné d’importantes pertes civiles. Ces attaques ont commencé à Vouhledar au premier jour de l’invasion russe à grande échelle, et ont été suivies d’autres attaques à Kharkiv, Mykolaiv, Tchernihiv, Kherson et ailleurs. L’attaque russe aux armes à sous-munitions contre la gare bondée de Kramatorsk, le 8 avril 2022, a été l’un des incidents les plus meurtriers pour les civils au cours des 17 derniers mois.
« En utilisant en apparence une arme au caractère intrinsèquement indiscriminé, l’attaque russe sur Lyman a causé des morts, des blessés et des dégâts matériels parmi les civils », a déclaré Ida Sawyer. « Les deux parties au conflit devraient mettre fin à l’utilisation d’armes à sous-munitions, car ces armes mettent en danger la vie des civils aujourd’hui, et continueront de le faire pendant les années à venir. »