Oleksandre Pivnenko, général de brigade, commandant de la Garde nationale de l’Ukraine

Commandants de la victoire

La Garde nationale assure le maintien de l'ordre public et participe également aux combats 

Oleksandre Pivnenko a été nommé au poste de général de brigade début juillet 2023, soit il y a un peu plus d'un an. Dans une interview accordée à Ukrinform, il raconte comment la Garde nationale de l’Ukraine est devenue une structure efficace et prête au combat dans les Forces de défense, comment elle surmonte le manque de ressources humaines et planifie des rotations, où les soldats sont affectés à servir après leur capture et avec leurs blessures... Et, bien sûr, quelles sont les perspectives de l’Ukraine dans cette guerre.

- Monsieur le Général, vous êtes en fonction depuis un an, comment s'est passé ce temps ? Y a-t-il eu des difficultés ou des déceptions particulières ?

- Il y a toujours des difficultés. En dehors du front, notre tâche principale était d'augmenter la capacité des centres éducatifs. Nous avons compris que plus il y aura de militaires bien entraînés, plus nous serons efficaces sur le champ de bataille, plus nous pourrons préserver le personnel. Auparavant, nous avons pu former un millier et demi de personnes en même temps, maintenant ce chiffre a augmenté jusqu’à 5 000 personnes et nous ne comptons pas nous arrêter là. A mon arrivée, il y avait deux centres de formation, nous en avons créé un autre, plus un quatrième en cours de création. Nous travaillons à améliorer le niveau professionnel des instructeurs et des programmes de formation. Des études à l'étranger sont également organisées en permanence. Une dizaine de pays nous y aident - formation linguistique, formation du personnel, formation des tireurs d'élite.

- C'est-à-dire que les programmes de formation à l'étranger se développent également ?

- Comme requis. Quelque part, nous le réduisons, si nous comprenons que nous pouvons déjà former des personnes grâce à nos centres de formation. C'est mieux et plus rapide, car le front dicte ses conditions et parfois il faut agir vite, et nous ne pouvons pas faire revenir, par exemple, 300 personnes de l'étranger rapidement. Nos partenaires internationaux allouent des fonds pour leur formation et nos militaires partent à l’étranger pour un, deux ou trois mois. Cela doit être pris en compte et planifié.

- Il y a un an, lorsque vous êtes devenu commandant, il y a eu une forte campagne pour créer des brigades offensives dans la Garde nationale. Où sont-ils, comment se sont-ils montrés ? Quelles unités formez-vous actuellement ?

- Combattre en brigade est plus efficace de que de transférer ici et là des groupes tactiques de régiments ou de bataillons. Cela vaut également pour la formation des quartiers généraux, des bataillons, des régiments, des diverses unités de soutien... Quand chacun fait sa part, le travail est mieux coordonné et ils se comprennent, comme mes camarades me comprenaient d'un demi-mot. Désormais, les sept brigades dont vous parlez accomplissent des tâches dans des directions différentes, en commençant par Zaporijjia et en terminant par Kharkiv. Nous ne perdons pas de positions, nous les reprenons petit à petit, comme dans certaines zones de l'Est. Nous avons créé un groupe tactique qui regroupe deux ou trois brigades et peut les diriger. Dans les forces armées, ce n’est pas une nouveauté, mais dans la Garde nationale, c’est la première pratique de ce type.

Et c'est efficace. Nous avons besoin d'informations, d'aide pour les armes, pour les munitions, nous devons remplacer des équipements endommagés. Il faut que tout se passe très vite. Si le commandant de brigade, par exemple, envisage d'avancer ou sait que l'ennemi prépare quelque chose, alors j’envoie une aide de ma réserve pour qu'il n'y ait pas d'interruption. En plus de ce que nous recevons des forces armées pour l'exécution de tâches, nous disposons toujours d'une réserve.

- Si vous disposez déjà de vos propres ateliers de fabrication de drones, alors l'approvisionnement a visiblement atteint un nouveau niveau ?

- Dans un premier temps, nous avons reçu des permis pour la production de tels drones dans l'armée. Cela a été décidé au niveau du ministère... Les permis ont été obtenus et nous pouvons désormais dépenser les fonds de l'État pour la production de nos drones. Nous fabriquons notamment des FPV. Auparavant, nous avions une unité distincte d'opérateurs de drones, maintenant nous en avons deux autres (une unité distincte pour l'utilisation des drones « Ailes d'Omega » et « Typhon »). Nous avons créé un centre de contrôle pour les systèmes sans pilote, chargé de l'analyse et de l'application. Il est important de pouvoir stocker, analyser et contrôler ce travail, pour augmenter son efficacité.

- Quel genre de brigade d'artillerie devriez-vous avoir ? Est-ce qu'il y en a déjà ?

- Une brigade d'artillerie distincte a été créée à mon initiative pour soutenir les unités de la Garde nationale dans une certaine direction. Cette brigade armée de « Bohdana » (installation d'artillerie automotrice de production ukrainienne et calibre conforme aux normes de l’OTAN de 155 mm, - ndlr) a déjà prouvé son efficacité. Deux de ces installations par direction suffisent, et en général nous aurons environ 20 systèmes. C'est largement suffisant pour les besoins de la Garde nationale. Les équipages de huit d'entre eux sont déjà prêts. Autrement dit, outre le fait que nous assurons le maintien de l'ordre public, nous pouvons aussi participer aux combats, accomplir des tâches visant à renforcer la frontière et directement sur la ligne de front. Bien entendu, la protection de l'ordre public, la protection des installations importantes de l'État, les centrales nucléaires, le convoyage font également partie de nos tâches.

- D’ailleurs, à propos des infrastructures critiques. Désormais, votre objectif principal est d’intercepter des drones russes qui les visent ou de les protéger du sabotage?

- Notre objectif principal est de renforcer la sécurité, d'assurer la défense si nécessaire, d'abattre les drones et les missiles ennemis. Nous n'avions pas de tâches aussi contre-subversives que, par exemple, la Direction principale du renseignement.

Nous travaillons dans le système unifié des forces armées, nous effectuons la tâche de renforcer le système de défense aérienne de l'État. Pour cela, bien sûr, vous avez besoin de systèmes de missiles anti-aériens portables ou de systèmes « Cheapard » (artillerie automotrice anti-aérienne allemande, - ndlr). Ce sont des armes très efficaces.

-Vous ressentez un manque de ressources en ce moment ? Qu’aimeriez-vous avoir de plus dans votre arsenal ?

- Personnel formé, unités de drone. Il faut sélectionner les gens, analyser leurs compétences, puis les former... Par exemple, quand un homme mobilisé arrive dans une unité, il suit cinq semaines de formation militaire générale. Ensuite, il est envoyé, par exemple, dans l'unité de drones, où il suit une formation professionnelle, et ce n'est qu'alors que ce militaire est impliqué dans l'exécution des tâches.

MOBILISATION, RECRUTEMENT, SERVICE APRES BLESSURES GRAVES OU CAPTURE

- Comment les gens vous contactent-ils en général : contrat, recrutement ? Comment ça marche pour vous ?

- Il existe un site internet de la Garde nationale pour le recrutement, la publicité est constante, les brigades de recrutement travaillent aussi. Et la mobilisation se poursuit en parallèle - l'état-major nous fournit également un certain pourcentage de personnes.

- Mais quelle est son efficacité ? Ce n'est qu'en avril que vous avez parlé du manque de personnel.

- Aujourd'hui, en général, le nombre de personnes qui arrivent dans nos unités a quadruplé.

- À votre avis, c’est grâce à la loi sur la mobilisation ?

- Le nombre de personnes mobilisées a augmenté, ainsi que ceux qui nous ont rejoints grâce à notre recrutement. Maintenant, les ressources de l'ennemi et ses opérations psychologiques fonctionnent : ils disent que nous envoyons au front des personnes sans formation. Nos commandants comprennent que la formation est la chose la plus importante. Eh bien, si nous envoyons au front un combattant non entraîné et que, Dieu nous en préserve, il est mort ou a perdu une position. Donc, nous devons ensuite envoyer un militaire expérimenté pour reprendre cette position et c’est beaucoup plus complique que de maintenir cette position. Il vaut donc mieux ne pas perdre. Et grâce à l'expérience des commandants et à une formation de haute qualité, nous avons mené des opérations offensives avec quasiment aucune perte : nos militaires reprennent huit ou neuf positions, en ayant un seul blessé.

- Eh bien, dites-vous, le flux de nouvelles recrues a été multiplié par quatre. Des rotations sont-elles désormais possibles?

- Il y aura des rotations, mais plus tard, car tout le monde est désormais sur le front. Il existe également des tâches visant à renforcer les frontières, sur la ligne de front et dans les territoires désoccupés, ainsi que d'autres tâches dans ce contexte.

- Parlez-vous du moment où l'intensité des hostilités diminuera un peu ?

- Oui. Mais avec notre voisin, c'est une histoire complique... Nous construirons très probablement une armée selon le modèle israélien, mais en tenant compte de nos intérêts nationaux, de notre expérience et de notre vision. Si nous voulons vivre en tant qu’État et survivre en tant que nation, nous devrons constamment nous défendre.

- Selon la loi, la Garde nationale n'a pas été créée pour la ligne de front ? Votre tâche est la protection des infrastructures critiques, des barrages routiers, des patrouilles...

- Oui, nous avons d'autres tâches. Mais il y a aussi une importante composante militaire. Et maintenant, toutes les composantes des forces de défense accomplissent la tâche principale de repousser l’agression armée. À l'avenir, une de nos tâches sera la participation aux mesures de stabilisation dans les territoires désoccupés. Mais si nous pouvons créer des brigades dont la qualité et la quantité ne sont pas inférieures aux brigades mécanisées des forces armées ukrainiennes, alors nous devons tout faire pour vaincre l'ennemi dès maintenant.

- Selon les chiffres officiels, 700 militaires de la Garde nationale de l’Ukraine capturés par l’armée russe ont déjà été libérés. Combien d’autres, selon vos estimations, sont en captivité ?

- 755 sont revenus. Beaucoup ont été capturés à Marioupol. Par conséquent, il reste encore une grande partie des « Azov » et des combattants de nos autres unités, que nous essayons d’échanger.

- Mais des militaires de la Garde nationale sont dans tous les groupes de prisonniers de guerre à échanger?

- Lors de presque tous les échanges, il est possible de faire revenir nos militaires. Nous sommes en contact permanent avec les services concernés et avec les proches. J'insiste toujours sur le fait que notre tâche est de ramener tout le monde à la maison.

- Est-ce que vous rencontrez des militaires revenus de captivité?

- Bien sûr, à chaque fois. Ils sont envoyés dans les centres médicaux et de rééducation, nous leur donnons 2-3 jours pour s'adapter sereinement, refaire tous leurs documents, etc. Tout d’abord, nous essayons de les assurer un traitement et une réadaptation complets. Les unités et agents d'assistance sociale s'efforcent de résoudre tous les autres problèmes de protection sociale et fournissent des informations sur la possibilité de poursuivre le service militaire, de suivre une formation ou démissionner. Certains reviennent au front après avoir été capturés, en disant: « Je veux rejoindre mes garçons, je vais me battre ».

- Et si des personnes qui souffrent de blessures graves, d'amputations, mais qui souhaitent poursuivre leur servir militaire, ont-il alors une telle opportunité ?

- Ils peuvent reprendre leur service militaire. Notre ministère de l’Intérieure dispose d'opportunités de postes pour ces personnes, ainsi que pour des épouses ou des mères des militaires morts au combat. Par exemple, récemment, nous avons proposé un poste au centre de formation de la Garde nationale à une femme, dont le mari a été tué sur le champ de bataille. Quant à ceux qui ont même subi des blessures graves ou des amputations, ils ont de l’expérience, ils ont vécu beaucoup de choses. Certains servent dans des unités de soutien social, d’autres sont instructeurs.

L'ENNEMI N'EST PAS TOUT-PUISSANT, IL NOUS FAUT PLUS DE RESSOURCES, D'AIDE ET D'INTELLIGENCE

- Comment résister ? Certains disent que la guerre pourrait durer encore environ 10 ans….

- Il y a des domaines dans lesquels nous nous développons très sérieusement, il y a des domaines, par exemple les munitions, dans lesquels nous aimerions nous développer davantage. Nous testons actuellement un drone très résistant à la guerre électronique. Un kilogramme d'explosifs peut y être attaché. Et c'est prometteur, car la guerre électronique se développe de notre côté et du côté de l’ennemi. Il faut constamment bouger, changer encore et encore. Améliorer la formation, augmenter la logistique, fédérer. C’est comme ça que nous allons pouvoir résister.

- Comment évaluez-vous la situation au front ?

-Elle est difficile. Mais les capacités offensives de l'ennemi ne sont pas illimitées, et il subit beaucoup de pertes. Je pense que encore un mois ou demi et ils ne seront pas en mesure de mener des assauts actifs dans plusieurs directions à la fois et seront sur la défensive dans n'importe quelle direction. Et pendant ce temps, nous devons former nos divisions et les préparer pour combat. Oui, c'est la guerre…

- Vous avez dit plus tôt que vous pensiez que tôt ou tard nous trouverions une brèche dans leur défense et percerions le front.

- Il faut rechercher les points faibles de l'ennemi et contourner les plus forts. Il faut s'adapter, changer de modèle de management, fixer des tâches : si ça ne marche pas, essayer de manière asymétrique. Mais on ne peut pas tout changer radicalement, tout prend du temps, surtout si l'on parle de changements systémiques.

-L’approvisionnement en équipement militaire de la Garde nationale est-il bien géré actuellement?

- Le soutien logistique est très adapté aux conditions de guerre. La fourniture d'armes, de munitions et de nourriture est effectuée en tenant compte des menaces et de manière à ce qu'elles soient livrées le plus rapidement possible là où elles sont nécessaires. Nous disposons déjà de trois propres magasins de meubles, où nous assemblons des meubles pour les besoins de la Garde nationale : tables, chaises, tables de chevet, armoires. On a construit des casernes à montage rapide (modulaires) et il n'est pas nécessaire d'acheter des meubles. Il existe des capacités pour la production de moyens pour les structures de fortification.

- Comment évalueriez-vous le rôle des bénévoles aujourd'hui ? Est-ce que ce rôle à diminué ?

- Au contraire. Au maximum, je dirais, les bénévoles nous aident beaucoup. Je comprends qu'avec le temps, cela s'atténue un peu - d'abord un pic, puis l'activité diminue, mais il y aura ensuite à nouveau un pic. Il y a des domaines qui, au contraire, se sont développés. En particulier, en ce qui concerne le développement de centres médicaux, de réadaptation, de rééducation et de projets sociaux.

- Existe-t-il des projets concernant l'autonomie des unités militaires face à tous les défis de la guerre ?

- J'aime l'autonomie. Presque toutes les unités militaires disposent d'une station de remplissage d'eau et de boulangeries, de sorte qu'il n'y a pas d'interruption dans l'approvisionnement en pain. Cela était le cas au début de l’invasion, mais cela n’arrive plus. Nous travaillons sur l'optimisation des rations de combat (ensemble quotidien de produits sur le terrain, - ndlr). Nous en aurons 9 types. Avant, tout était dans un grand bol : le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. Nous avons divisé : petit-déjeuner séparément, déjeuner séparément, dîner séparément. Souvent, les soldats n'ont pas besoin de l'ensemble quotidien complet, ils peuvent prendre un ou plusieurs produits pour une mission. Un millier de nouveaux ensembles ont déjà été testés dans des unités militaires. Les militaires ont aimé.

- Contrôlez-vous d'une manière ou d'une autre les achats afin qu'il n'y ait pas d'abus ?

- Chaque unité militaire effectue elle-même ses achats, il y a un audit, il y a des appels d'offres ouverts, il y a une responsabilité. Il n'est pas nécessaire de transporter des produits de l'ouest de l'Ukraine vers l'est, s'il existe, par exemple, un fabricant dans la région de Kharkiv. Et l'échelle est plus petite. Et chaque commandant sait qu’il est personnellement responsable. Il existe également des achats effectués via des bases d'approvisionnement conformément à la législation sur la défense et les marchés publics.

- Revenons au global. Je ne demande pas de prédictions, parce que c'est une chose stupide à faire, mais quel est notre espoir ? Qu’espèrez-vous? Dans l'aide décisive des partenaires, dans un miracle ?

- Je pense - de toute façon, nous allons résister. Il faut se développer, si nous avons constamment une longueur d'avance et pensons à l'avenir, alors tout ira bien. Les choses les plus importantes maintenant sont la préparation, le développement des centres de formation, l'achat d'armes, d'équipements militaires, la production d'équipements militaires, de drones, de véhicules blindés, d'équipements de défense aérienne, de munitions par notre pays. Nous travaillons à la création de réserves. Nous apprenons. Et notre tâche en tant qu'armée est de disposer d'unités prêtes au combat, de brigades capables d'accomplir efficacement des tâches au front, capables de défendre notre État.

Tetyana Negoda, Kyiv

Photo de Yevhen Kotenko

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