Ils ont même volé des culottes : comment les rachistes fuyaient la banlieue de Kyiv
Depuis deux jours, nous sommes les premiers à suivre les envahisseurs qui se sont retirés en hâte de la région de Kyiv
Le premier jour, nous avons marché de Bouzova à travers l'autoroute M06, le complexe ethno du village ukrainien, une unité militaire, la forêt et le champ jusqu'au village de Mykolaivka. Le deuxième jour, le 1er avril, nous avons poursuivi notre chemin de Khmilna vers les localités de Kozyntsi, Nemichayevé, Myrotské, Blystavytsia, Gostomel, Rakivka, Demydiv, Dymer, Katujanka et Fenevytchi. Ensuite, nous avons dû passer par des champs et des forêts, car les occupants ont fait sauter un pont juste à côté de Fenevytchi.
L'objectif de notre groupe, composé de diverses unités militaires, était de se rendre jusqu'à la frontière biélorusse pour s'assurer que les forces russes ne se trouvaient plus sur le territoire ukrainien. Cependant, nous n'avons pu atteindre que la ville d'Ivankiv, parce que les rachistes (mot provient de « russes + fascistes » – NDLR), en fuyaient, ont fait sauter le pont sur la rivière Teteriv près d'Ivankiv. Et il n'y a pas d'autre pont à proximité de la ville.
Dès le début de notre itinéraire, nous rencontrons des ruines, la mort et des rues entières, et même des villages, qui sont déjà tout simplement invivables. Les corps de civils morts gisaient dans les rues de Bouzova pendant plusieurs semaines, une femme fusillée sur l'autoroute M06 est restée assise dans sa voiture. Mais les cadavres des civils tués ne dérangeaient pas du tout les envahisseurs russes et ils n'allaient pas les enterrer.
Plus loin sur notre trajet, on aperçoit une dizaine de fusillés gisant sur le trottoir. Certains d'entre eux sont tout près des endroits où les occupants se retranchaient. Ils passaient juste devant les cadavres, marchant, dormant et même mangeant près d'eux.
L'auteur de ces alinéas a vu dans sa vie différentes émotions humaines, mais les sentiments des gens après la libération des localités des occupants ne peuvent être comparés à rien. Il suffit de regarder leurs visages et de pleurer avec eux.
Tout le monde pleure : vieux et jeunes, civils et militaires, femmes et hommes.
Nous sommes les premiers militaires que les gens ont vus après les occupants. Depuis plus d'un mois, les habitants sont privés de communication mobile et n’étaient pas au courant de ce qui se passait dans les autres régions du pays. Inutile de dire qu'ils manquent de tout ce qui pourrait au moins minimalement assurer leur existence normale.
Une rumeur a commencé à se répandre, selon laquelle les rachistes se sont retirés. Et les gens prudemment, comme des fantômes, ont commencé à descendre dans les rues, sortant des sous-sols ou de leurs maisons.
En vélo, ils transportent plusieurs bûches de quelque part pour cuisiner sur un feu…
Les occupants forçaient les gens à porter des brassards blancs.
« Si vous n'avez pas de brassard, ils vous tirent dessus », disent les hommes qui vont dans une ferme à Mykoulychi.
« Nous ne serions pas en mesure d’aller jusqu'à la ferme avec des vaches sans ces brassards », ont-ils dit.
Chaque magasin, chaque pharmacie, chaque foyer, tout a été pillé, endommagé, bombardé ou brulé. Sur tout le trajet qui fait plus d'une centaine de kilomètres, nous n'avons vu aucune voiture qui n'ait été endommagée, sauf celles qui sont restées chez des civils. Parfois, des colonnes entières de voitures et de camions ont été anéanties.
À chaque kilomètre, vous voyez soit une voiture incendiée, soit du matériel militaire russe.
À Gostomel, c'est l'enfer, avec des quartiers résidentiels bombardés, incendiés et totalement impropres à la vie. Nous sommes accueillis par des résidents qui n’ont pas pu partir. Ils vivaient dans des sous-sols et cuisinaient dans la rue.
« Ce sont nos troupes, nous pouvons déjà sortir des sous-sols », dit une femme qui semble toujours ne pas y croire.
« Nous vous regardons et sommes un peu choqués de vous voir. Êtes-vous vraiment les nôtres ? », demande un homme.
Le slogan clé pour persuader les gens : « Gloire à l'Ukraine ! »
« Gloire aux héros ! Ce sont les nôtres », disent les gens en pleurant.
Ils disent qu'ils ont encore de la chance. Ils se sont assis discrètement dans la cour et personne ne les a touchés. Les envahisseurs les laissaient apporter de l'eau et passer par les postes de contrôle jusqu'à l'hôpital.
« Les Kazakhs et les Bouriates étaient basés ici. Ils nous ont dit de nous taire et qu'ils ne nous toucheraient pas. Eh bien, nous étions silencieux », poursuivent les gens.
Nous sommes arrivés au village de Myrotské le 1er avril, avant le déjeuner. Nous avons vu des hommes regardant timidement par leurs fenêtres. Nous nous sommes arrêtés. Ils ne sont pas pressés de nous approcher. Nous nous approchons d'eux et disons « Gloire à l'Ukraine ! » et nous voyons des gens changer d'attitude.
Quelques minutes plus tard, des habitants, hommes et femmes, ont commencé à sortir de la cour.
Une femme demande à plusieurs reprises si nous sommes vraiment des militaires ukrainiens. Puis elle ressort un drapeau ukrainien de sa veste et s'exclame :
« Gloire à l'Ukraine ! Oh mon Dieu, que nous vous avons attendus, que nous avons prié ! Dieu, mon Dieu, tu nous as entendus ! Nous vous remercions. »
La femme portait le drapeau ukrainien près de son cœur tous les jours depuis l'occupation et attendait qu'il papillote à nouveau.
Nous sommes une nouvelle fois en larmes.
Je leur demande : « Comment avez-vous tenu le coup ici ? »
« On a tenu. On vous attendait », raconte un homme. « Nous avons prié pour vous et pour nos enfants, et nous avons pleuré. »
Les gens se sont rassemblés dans la cour pour préparer le déjeuner. Aujourd'hui, ça sera du borchtch à l'oseille.
« Il n'y a pas de lumière, ni de gaz… Ces salops sont venus nous libérer de tout », dit un autre homme.
Les gens sont heureux de s'être débarrassés des rachistes, mais ils sont anxieux de ce qui va se passer ensuite.
« Il y avait toute une marée [d’occupants]. Ils prenaient leurs jambes à leur cou. Ils fuyaient à travers la forêt, par l'ancienne route de Borodianka, vers l'autoroute de Varsovie [M09]. »
« Les salopards s'enfuyaient si vite qu’ils ont même perdu leurs munitions. Ils ont tout pillé. Ils sont allés de maison en maison et ont emporté même les culottes des femmes. Mais dites-moi, ils n'ont pas de culottes ou quoi ? »
« Ils ont ramassé tout ce qu'ils pouvaient. Ils ont tout emporté pendant deux jours par des KAMAZ et des Ural. Des machines à laver, tous les appareils électroménagers, des matelas, des vêtements neufs… »
« Ils n'ont rien vu. Ils sont venus ici des patelins paumés. J'ai entendu l'un d'eux appeler sa mère et lui dire : « Maman, nous vivons dans un trou perdu, pas comme eux [les Ukrainiens]... »
Nous allons plus loin. On y voit une femme avec un brassard blanc. Elle nous regardait comme la plus grosse merde du monde. Elle ne sait toujours pas que nous sommes des forces ukrainiennes. Nous nous arrêtons et disons qu'elle peut déjà enlever ce brassard. Après avoir entendu la langue ukrainienne, la femme demande prudemment si cela est vrai et arrache rapidement son brassard. On voit ses lèvres tremblantes, puis elle se met à pousser des sanglots :
« Mon Dieu, heureusement que vous êtes déjà là ! »
Les gens ont attrapé nos militaires par les mains et ont commencé à les embrasser en signe de gratitude…
Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de demander comment ils vivaient ici, ce que les Russes leur ont fait, mais en tout cas il est clair que rien de bon. La destruction, la mort, la douleur et le chagrin pour le reste de la vie. Ceci est une brève description de ce que les occupants russes ont laissé partout où ils ont mis leurs pieds.
« Il y a une mine dans la cour... Il y a des mines sur piquet dans des jardins... N'y allez pas, car le pont peut être miné, hier, un homme a sauté sur une mine... Il y a quelques jours à peine, un d'entre eux [Russes] se baladait dans les cours et tirait sur des gens, tout droit sur la tête. Il a fusillé cinq personnes », ont crié des gens affligés.
À la fin de la route, nous avons vu un lance-roquettes multiple russe Tornado que les occupants ont laissé près de Katujanka. C'est tout neuf. Mais quelque chose s'est mal passé. Les conducteurs de tracteurs locaux ont remorqué le Tornado jusqu'au village. Soit dit en passant, il pèse 33 tonnes.
Au début, le Tornado ne veut pas démarrer. Mais M. Volodymyr a dit :
« Attendez, nous allons le faire marcher. Et au bout d'une heure, le véhicule a démarré. »
Oksana Klymonchuk
kh