Une nouvelle enquête permet d’identifier des militaires russes suspects d’avoir tué le journaliste ukrainien, Maks Levin

Reporters sans frontières (RSF) poursuit son enquête sur l’assassinat du journaliste ukrainien, Maks Levin. Les renseignements obtenus ont permis d'identifier l’ensemble des unités militaires russes présentes à proximité de la zone du crime, des troupes d’élite, ainsi que quelques dizaines de militaires russes dont les téléphones ont borné dans la zone.

« Alors que l'enquête officielle peine à avancer depuis plusieurs mois, RSF a obtenu des informations  plus complètes sur la présence russe dans la forêt où ont été tués le journaliste et son accompagnateur. Le concours des autorités ukrainiennes, civiles comme militaires, en matière d'investigation et de renseignement est indispensable pour espérer identifier avec précision les auteurs de ce double crime », a indiqué Arnaud Froger, responsable du bureau investigation de RSF.

Les deux hommes étaient portés disparus depuis deux semaines, dans une zone où les combats faisaient rage. Le 1er avril 2022, dans une forêt au nord de Kyiv, la police ukrainienne retrouve les corps sans vie du photoreporter Maks Levin, tué par balles, et de son accompagnateur Oleksiy Chernyshov, très probablement brûlé vif. Photoreporter réputé en Ukraine, Maks Levin couvrait les hostilités au plus près de la ligne de front depuis le début de l'invasion russe le 24 février. Début avril, alors que les Russes entament leur retrait du nord de l’Ukraine, les tirs et bombardements se font encore entendre à proximité de la scène de crime. Les corps du journaliste et de son ami, un soldat ukrainien des forces territoriales, sont rapidement transportés à la morgue. L’enquête réalisée sur place est expéditive.

Depuis, RSF s’est rendue à quatre reprises en Ukraine afin d’enquêter sur cet assassinat manifeste. Quelques semaines après les faits, l’enquête menée dans la forêt du « crime » par le responsable du bureau investigation de RSF, Arnaud Froger, et le photoreporter Patrick Chauvel, a  démontré que les deux hommes avaient été froidement exécutés. RSF a remis aux autorités plusieurs preuves matérielles dont trois balles et des éléments ayant appartenu aux forces russes. Le 22 juin 2022, l’organisation publiait un rapport présentant les preuves de cette exécution. Il est certain que Maks Levin et son accompagnateur ont été assassinés par des militaires russes, cependant, les individus coupables demeurent inconnus à ce jour.

Des éléments nouveaux pourraient toutefois permettre d’avancer dans les prochains mois. RSF a obtenu de manière confidentielle une série de 72 numéros de téléphone appartenant à des soldats russes et ayant borné dans les mêmes antennes-relais que celui du journaliste le jour du meurtre. Cette liste fait actuellement l’objet d’une exploitation pour tenter d’identifier plus précisément les identités de ces soldats. Les coupables se trouvent potentiellement parmi eux. Les informations collectées depuis par RSF, notamment auprès de sources sécuritaires, ont également permis d’établir la liste complète des unités militaires russes dont la présence est confirmée ou fortement suspectée à proximité de l’endroit où le photoreporter ukrainien a été exécuté. Plusieurs troupes d’élite en font partie : la 155e brigade d’infanterie marine de la flotte du Pacifique, le 234e régiment d’assaut de la 76e division d’assaut aéroportée, la 45e brigade de forces spéciales, la 106e division d’assaut aéroportée, la 98e division aéroportée, et en particulier son 215e bataillon de reconnaissance ainsi que ses 217e et 331 régiments d’assaut.

Les efforts de recherche de RSF se concentrent donc en Ukraine, où la présence de la 155e brigade d’infanterie marine de la flotte du Pacifique dans la forêt dans laquelle Maks Levin et Oleksiy Chernyshov ont été tués a été corroborée par les services de renseignement ukrainiens et confirmée par des images de drône. Cette unité d’élite de l’armée russe, a depuis subi de très lourdes pertes et aurait été détruite à 90 % selon les autorités ukrainiennes. Début février 2023, quelques jours avant notre venue, plusieurs milliers de ses hommes ont été tués ou blessés et 130 de ses véhicules blindés dont 36 chars ont été anéantis près de la petite cité minière de Vouhledar dans la région de Donetsk, au sud-est de l’Ukraine. 

Lors d’une mission, menée du 12 au 22 février 2023 en Ukraine, RSF a pu interroger treize soldats russes de cette brigade faits prisonniers par l’armée ukrainienne. Lors des entretiens menés dans un bâtiment de la capitale ukrainienne, les militaires russes étaient libres de répondre ou non à nos questions concernant leur éventuelle connaissance des faits. Aucune photo n’a été prise. Il s’agissait quasi exclusivement de très jeunes recrues, sans grande expérience militaire, très loin des « bérets noirs » aguerris associés à l’image de cette troupe d’élite. Tous affirment avoir été déployés après le meurtre de Maks Levin. L’un d’entre eux, mobilisé seulement un mois après le double crime, a apporté des informations sur les armes et la chaîne de commandement de l'unité qui pourraient s’avérer importantes pour la suite de l’enquête. Selon ses déclarations, seuls trois militaires de sa brigade disposaient d’une arme avec des balles qui pourraient correspondre à une partie de celles retrouvées sur la scène de crime.

Ces informations pourraient contribuer à l'enquête officielle qui a peu avancé depuis l’été dernier. Les résultats des analyses ADN et balistiques des preuves collectées par RSF sur la scène de crime en mai et juin 2022 se font toujours attendre. Les soldats ukrainiens qui ont participé à la bataille de Moshchun, un village situé à la lisière de la forêt dans laquelle les deux hommes ont été tués, et les services de renseignement militaires pourraient également disposer d’informations très utiles pour faire avancer l’enquête.

Le film enquête produit par RSF sur cette affaire, Ukraine : l'affaire Maks Levin, est diffusé sur le site de la chaîne de télévision franco-allemande Arte en France et en Allemagne depuis février dernier, ainsi qu’en Ukraine sur la chaîne publique Suspilne.

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