Bohdan Kouchnir, commandant adjoint du régiment d'assaut « Safari » de la brigade « Lyut »

Commandants de la victoire

Je n'ai jamais vu autant d'infanterie ennemie qu'à Toretsk maintenant

Bohdan Kouchnir, surnommé Gryz, a commencé son parcours de guerrier en 2014, rejoignant « Azov » en tant que volontaire à l'âge de 20 ans. Deux mois après avoir pris une mitrailleuse pour la première fois, il était déjà nommé commandant de peloton. Gryz a participé à la bataille pour Illovaysk et à l’opération à Chyrokine. Sans hésiter, il a rejoint l’armée, le 24 février 2022. Actuellement, le lieutenant Kouchnir est devenu le commandant adjoint du régiment d'assaut « Safari » de la brigade « Lyut ». Au cours de l'invasion à grande échelle, il a participé aux batailles dans la région de Kyiv, dans la région de Kherson et à Bakhmout. Il combat désormais à Toretsk, où l'armée russe mène des attaques quotidiennes avec des dizaines de fantassins.

Dans notre rubrique d’Ukrinform « Commandants de notre Victoire », Bohdan Kouchnir a parlé des difficultés des batailles à Toretsk, des pertes réelles de l'ennemi, de la façon dont il voit la paix avec les Russes et, surtout, de ce qui est le plus important sur le poste du commandant d’une unité d’assaut.

- Revenons à 2014, lorsque vous avez rejoint le bataillon « Azov ». Dites-nous exactement ce qui vous a motivé à franchir cette étape et comment avez-vous alors perçu votre rôle dans la défense de l’Ukraine ?

- Si nous y retournons il y a 10 ans, si nous parlons de motivation, alors dans la partie sur les valeurs idéalistes, il est clair que j'étais motivée par la nécessité de protéger le pays. Notre intégrité territoriale a été violée, notre souveraineté, et tu te mets à défendre toutes ces valeurs. Mais je vois toujours cette question dans ma vie du point de vue  philosophique. Et si nous parlons d'un tel aspect, alors pour moi, conditionnellement, si nous prenons tous les hommes, alors une certaine partie des hommes réagira toujours aux bouleversements sociaux importants, qu'il s'agisse de révolutions, de guerres, etc., dans toutes les conditions. À tous les processus socio-politiques aigus. Parce que si vous remontez dans l’histoire, dans la société ancienne, les sociétés étaient souvent fondées sur les castes. C'est-à-dire qu'il y avait des castes de guerriers, des castes de simples ouvriers, des castes de politiciens, de scientifiques, etc. Je crois donc que ce n’est pas en vain. Il y a une certaine partie des hommes qui, de par leur caractère, par la nature de leur caractère, participeront nécessairement à des événements critiques aussi importants.

Je me considère comme l'un d'entre eux. C'est pourquoi quand j’ai décidé d’aller à la guerre, disons, je n'ai pas pesé le pour et le contre. Autrement dit, je savais avec certitude que j'irais à la guerre. Ce n'est pas parce que ça ne fait pas peur ou que je faisais confiance en moi ou pas. Je n'avais aucune formation militaire, j'étais un étudiant de 20 ans. Aucune formation, aucune compréhension de comment se battre, comment tenir une mitrailleuse. Mais à l'intérieur, ma nature m’dit qu'il faudrait être là, qu'il faut en faire l'expérience, voir à quoi ça ressemble, qu'est-ce que la guerre. Par conséquent, tout mon instinct disait qu'il y a une guerre et que je dois être là. C’est pourquoi j’ai une double motivation : la protection de l’État et un tel appel interne à vivre la guerre comme un phénomène.

- Donc, c’était un sens du devoir ou l'impossibilité de rester à l'écart et de fermer les yeux ?

- Oui, probablement quelque chose comme ça, quand on ne peut tout simplement pas rester à l'écart pendant que se déroulent des événements sociaux aussi importants. Autrement dit, quel que soit votre état civil. Je n'ai pas pris en compte le fait que j’étais étudiant à temps complet et que je pourrais être expulsé de l'université. Cela passe en quelque sorte au second plan. Il y a une guerre et je cherchais juste une opportunité pour y participer. Je suis convaincu qu'il y a des guerriers par caractère, par nature, donc peu importe que sa femme pleure, peu importe combien la mère supplie, cet homme y va toujours, parce que d'une manière ou d'une autre, la nature appelle.

- Mais vous parler d’une partie de la société. Et en général, sur la base de vos opinions, que pensez-vous maintenant du fait que très souvent dans la société, il y a une autre partie des hommes qui ne veut pas devenir la défense du pays ? Cela vous offense-t-il ou cela vous provoque-t-il une certaine indignation intérieure ?

- Si vous le regardez superficiellement, c'est dérangeant, cela peut vous mettre en colère, si vous prenez une part aussi émotionnelle. Mais en général, je comprends que c’est ainsi que sont organisées toutes les sociétés. Je regarde souvent des sondages sociaux dans différents pays européens quand l’on demande aux hommes s’ils sont prêts à défendre leur pays. Et il y a quelques infimes pourcentages qui répondent fermement : oui, j'irais certainement immédiatement au front pour défendre l'intégrité territoriale de mon État. Et il y a des pourcentages exorbitants qui répondent : non, je n'en ai pas besoin, je suis un citoyen du monde, j'irai quelque part avec ma famille.

Mais il ne faut pas oublier que notre situation est spécifique, c’est-à-dire que l’armée ukrainienne ne combat actuellement pas quelque part dans une autre partie du monde, par exemple pour des intérêts économiques. Nous menons une telle guerre existentielle avec un ennemi éternel pour l’existence même de notre État, de notre société. Ce sont déjà des choses très graves, c’est pour ça que ça dégénère à ce point-là. Quand un homme dit que non, je n'irai pas, ce n'est pas ma guerre, bien sûr - cela provoque une rage à l'intérieur. Mais en général, j’essaie de garder mon sang-froid, car si j’accumule de telles émotions pendant des années, je vais m’épuiser à coup sûr.

- D'un autre côté, c'est aussi une question philosophique, mais néanmoins pratique. Vous avez dit qu'un homme doit avoir certains traits de caractère pour pouvoir se battre. Alors, ces traits peuvent-ils être formés ? Et aujourd’hui, nous mobilisons de nouveaux recrues non pour des questions de philosophie, mais parce que nous en avons besoin. Que pensez-vous de la formation actuelle de nouveaux combattants?

 - Premièrement, la situation est telle qu'il est nécessaire d'entraîner les gens tout en combattant en parallèle. Mais je pense que le plus important est de faire comprendre aux gens ce qu’est une structure militaire, il faut les faire comprendre pourquoi ils doivent obéir aux ordres du commandant. Nos militaires suivent souvent une formation militaire à l’étranger et cette formation de base est définitivement bonne. Cependant, nous sommes bien meilleurs dans certains aspects de l'entraînement, comme les spécificités du combat, les aspects anti-drones, comment agir en tant qu'infanterie dans une guerre d'artillerie comme la nôtre, car la densité des tirs d'artillerie est tout simplement vertigineuse et le tonnage de fer dans l'air il bat tous les records. J'en suis convaincu : c'est ce que nous devons enseigner. Certes, il existe des protocoles médicaux que le monde entier enseigne, mais nous pouvons apprendre comment adapter ces protocoles aux spécificités du combat, car des fois, il faut aller marcher 5 km sous le feu nourri de l’ennemi pour chercher un blessé. C'est la formation de base à l'étranger, le combattant arrive, on lui apprend toutes les spécificités des actions d'assaut, des actions défensives, des actions avec équipement, s'il s'agit d'infanterie mécanisée. Et le plus important est de préciser qu'il existe une structure militaire, que nous sommes prêts à écouter son avis, mais c’est le commandant qui aura le dernier mot et son ordre doit être exécuté. Et alors, la mission sera très probablement accomplie avec succès, et tu pourrais rentrer chez toi vivant et en bonne santé.

- En parlant de 2014, y avait-il alors le sentiment que l'Ukraine pourrait perdre sa souveraineté ? Et, à votre avis, quelle était la raison principale qui nous a aidés à tenir nos positions et  repousser l’ennemi ?

- Je n'avais pas le sentiment qu'une guerre était menée pour l'existence de notre État. Pourtant, on avait le sentiment que l’ennemi avait un certain objectif : s’emparer d’un certain territoire. À l’époque c’était les régions de Louhansk et de Donetsk. Il y a eu beaucoup de pages tragiques au cours de cette période. Mais malgré cela, l’armée ukrainienne gardait l’initiative et être capable d’avancer. Elle aurait être même capable de régler le problème du séparatisme dans la région de Donetsk. Mais au début de l'automne 2014, l’armée russe a commencé à envoyer ses troupes régulières en Ukraine et il est devenu donc difficile pour l'armée ukrainienne de résister à de telles unités mécanisées coordonnées. Il n’était donc pas question d’une défaite totale. Bien sûr, il y a eu quelques situations tragiques, telles que les encerclements à Illovaysk et de Debaltseve etc. Mais il n’était pas question de tout perdre et de fuir vers Kyiv.

- Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle, vous avez participé aux batailles de Kyiv, de Kherson et de Bakhmout.  Commençons par la capitale, la défense de la région de Kyiv. Quelles les tâches vous étaient confiées?

- Dans la région de Kyiv, nous avons principalement opéré en direction de Tchernihiv, le long de l'autoroute de Brovary, où les troupes russes ont tenté de couper l'autoroute de Tchernihiv. Les Russes tentaient de prendre cette autoroute sous leur contrôle, en envoyant de petites colonnes de véhicules blindés. Nous les avons repoussés. Autrement dit, c’était une guerre de position.

- Selon vous, quel a été alors le tournant dans cette bataille?

- Je pense que le tournant a été le fait que l'ennemi a réalisé qu'il était impossible de s'emparer simplement d'une agglomération aussi importante que notre capitale et toutes les localités situées autour d’elle. Après tout, c'est la capitale, une grande concentration de nos troupes. Oui, il y a eu des situations potentiellement critiques. Mais les Russes ont tout de même réalisé que cela ne fonctionnait plus ainsi dans le monde moderne, qu’on ne pouvait plus simplement arriver et prendre d’assaut une immense ville, la capitale d’un pays. Je pense que le tournant est arrivé quand ils avaient compris qu’ils ne pouvaient pas contrôler ces immenses zones arrière, à travers lesquelles ils se contentaient de marcher en colonnes le long des routes principales, et lorsqu'ils ont réalisé qu'ils ne pouvaient pas prendre la capitale.

- Ensuite, vous êtes parti en direction de Kherson, n'est-ce pas ?

- Oui. Après que l’ennemi ait quitté les régions de Kyiv, Tchernihiv et Soumy, nous avons réfléchi et décidé que nous devrions probablement aller vers le sud. C'est ainsi que nous sommes arrivés dans la direction de Kherson, c'était en mai-juin 2022. Puis, nous avions passé quelques mois à Bakhmout et sommes revenus à Kherson vers l’automne 2022, c’est-à-dire au moment de la libération de la ville de Kherson. Il n'y a pas eu de batailles à Kherson même, l'ennemi a pu reculer rapidement et de manière organisée vers l'autre rive du Dniepr... Oui, bien sûr, nous avons rattrapé quelques unités, avons détruit de l’équipement militaire ennemi, mais quand nous sommes rentrés dans la ville, elle était déjà vide de l’ennemi.

- À votre avis, pourquoi les Russes ont-ils pris la décision de quitter la ville de Kherson?

- La logistique décide de tout, s'il n'y a pas de logistique, vous ne pouvez pas livrer des armes et des obus, ravitailler votre groupe qui combat, et le Dnipro n'est pas un petit fleuve à travers lequel vous pouvez constamment jeter des pontons. S’il n'y a pas de pont, vous n'y naviguerez pas longtemps sur des bateaux et vous ne traverserez pas de chars sur des barges, car ils seront rapidement détruits. En conséquence, c'est après que les forces armées ukrainiennes ont mené des opérations réussies au-dessus de Kherson qu'il est devenu clair pour les Russes qu'ils étaient simplement coincés et donc, ils ont donc pris la bonne décision pour eux-mêmes. Oui, cela leur a causé d'énormes pertes politiques, il y avait une très forte tension dans leur société, même si leur société est habituée au fait qu'ils soient constamment humiliés, mais leur départ de Kherson a été vraiment une explosion médiatique, c'était cool, j'ai beaucoup aimé. Mais du point de vue de la tactique militaire, ils ont quand même pris la bonne décision.

- Vous avez également participé à la bataille de Bakhmout au moment des combats les plus féroces, parlez-nous de cette période.

En été 2023, quand je suis arrivé à Bakhmout, la bataille pour cette ville n’a pas encore commencé, donc mon unité tenait le village derrière Bakhmout lui-même, mais alors les unités de Wagner étaient déjà engagées dans une confrontation avec nous, elles ne faisaient que gagner en force, elles ne étaient pas encore vraiment médiatisées.  Dans les médias, presque personne n’en avait entendu parler, mais ils  étaient déjà présents aux abords de Bakhmout. Donc, nous les affrontions d’abord à côté de Bakhmout, puis dans cette ville. Autrement dit, en été, la vie dans la ville était encore plus ou moins normale, même les supermarchés, les services communaux fonctionnaient, les trolleybus circulaient… Mais déjà à partir de la fin de l'été, nous sommes déjà en août-septembre, déjà la ville a progressivement commencé à sombrer dans l'obscurité, car l'ennemi s'est déjà approché de la ville de près.  Et il était clair qu'une évacuation massive était nécessaire, les Russes lançaient des frappes massives contre la ville. Tous les établissements, les supermarchés se sont alors fermés, les agents des services publics ont cessé de travailler... Autrement dit, la ville a déjà été vide et, en fait, seuls les militaires qui assuraient la défense y sont restés. À partir du mois d’août, l’armée russe a commencé à effacé méthodiquement la ville de la surface de la terre.

- Comment s'est déroulée cette bataille pour Bakhmut pour vous personnellement ?

- L'été, nous nous sommes battus dans ces villages derrière Bakhmout, nous y étions à l'automne, mais en hiver 2023, je n'y étais pas régulièrement, j’y arrivais pour des missions de courte durée. La bataille a été très difficile, il y avait une très grande concentration de tirs d’artillerie, puis les Russes ont déjà commencé à déployer les drones en masse. Autrement dit, l'Ukraine n’avait plus d’avantage écrasant en ce qui concerne l’utilisation de drones. Plus la saleté, le froid, l'hiver était très froid… C'est vraiment un hachoir à viande, l'une des batailles les plus difficiles de cette guerre. J’ai dû marcher sur les cadavres des militaires russes pour arriver jusqu’à nos positions. Quand je pense à nos militaires qui étaient à Bakhmout du début jusqu’à la fin, je ne peux pas imaginer comment ils ont enduré cela. Les conditions étaient tout simplement inhumaines, froides, hivernales. Par conséquent, la défense dans l’affaire Bakhmut était tout simplement irréelle dans sa complexité.

- Mais malgré l'avantage technologique et l'avantage en nombre de soldats, les Russes ont alors subi de lourdes pertes.

- Oui, je pense que c'était la période la plus sanglante pour l'armée russe, car Evgueni Prigojine lui-même a alors admis qu'il n'y avait que 20 000 morts, il en a parlé ouvertement, et cette guerre, je le répète, est une guerre d'artillerie. Selon les livres militaires soviétiques, il y a généralement trois blessés pour un mort, mais c’est une statistique tellement approximative. Mais comme cette guerre est une guerre de haute technologie, je pense que la statistique serait dix blessés sur un mort. En règle générale, d'après mon expérience, c'est comme ceci : là où il y a un mort, il y aura dix blessés. Autrement dit, si au moins 20 000 combattants de Wagner ont été tués et nous ajoutons à ce chiffre le nombre des militaires de l’armée russe régulière tués pendant la bataille de Bakhmout, cela fait des dizaines de milliers de blessés. Ce sont des gens perdus, des infirmes, des handicapés. Nous savons ce qu’ils font aujourd’hui en Russie : ils tuent, violent, volent et sont renvoyés en prison. Autrement dit, leurs pertes y étaient colossales. Je pense que cet été a été l’un des plus sanglants, sinon le plus sanglant, selon les nécrologies russes. Je pense que cette opération de Bakhmout aurait pu devenir même la plus sanglante pour la Russie, car les pertes sont tout simplement critiques, eh bien, je pense qu’ils ont également subi des pertes terribles à Avdiivka et c’est très agréable pour nous.

- À votre avis, combien de gens sont-ils encore prêts à perdre?

- Je pense qu'ils ont encore une certaine réserve pour cette année afin d'attaquer avec un front large, ce qu'ils font actuellement. Parce qu'ils ont un flux très élevé de volontaires spécifiquement pour le butin, ils offrent vraiment de bonnes conditions à ceux qui les rejoignent ; dans certaines régions, ils reçoivent un paiement unique pour rejoindre l’armée : près de 20 000 dollars. C'est pourquoi ils ont beaucoup de pauvres mecs là-bas qui n'ont jamais vu autant d'argent, et ils vous disent en plus qu'ils vous paieront 266 000 roubles supplémentaires chaque mois. Il est clair que ceux qui s’engagent ne pensent pas qu’ils allaient être tués. Il est clair qu'ils arrivent, ils sont tués et c'est tout, personne ne les paiera. Mais à cause de cet appât - une somme importante récoltée - de nombreuses personnes volent à leur service, ils disposent de ressources humaines importantes, aux dépens de diverses entités constitutives de la Fédération de Russie. Mais je ne pense pas qu’ils ont beaucoup de volontaires qui s’engagent pour les raisons idéologiques, même s’ils ont encore des ressources pour lutter sur un large front cette année. Mais il ne faut pas mettre de lunettes roses, je pense que la Russie aura toujours les ressources nécessaires pour faire pression sur nous jusqu'à la fin de cette guerre, peu importe quand elle se terminera. Autrement dit, un pays aussi grand sera capable de rassembler des ressources humaines, quelle que soit leur qualité. Ils vont pouvoir rassembler suffisamment de « viande » humaine afin de faire pression au moins sur une zone du front. Il faut garder cela à l'esprit : il n'y aura pas, à mon avis, une telle période où ils s'essouffleront et ne pourront plus rien faire. Non, cela n’arrivera pas, ils pourront toujours attaquer et faire pression sur au moins une zone du front.

- Dites-nous quand vous avez rejoint le régiment d'assaut « Safari », quelle est sa particularité et que fait votre unité?

- J'ai rejoint le régiment « Safari » en mars 2023. J’ai appris que le ministère de l'Intérieur était en train de former une brigade Lyut qui regrouperait plusieurs régiments et comme je faisais déjà mon service dans une unité du ministère, je me suis dit pourquoi pas, pourquoi ne pas essayer. Et il s'est avéré que j'avais déjà des connaissances dans le régiment Safari, car c'était auparavant un régiment distinct, et maintenant il a rejoint de la brigade Lyut. En plus, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de volontaires au sein de ce régiment et ces volontaires avaient déjà une grande expérience de guerre.

- Pourriez-vous nous dévoiler dans quelle zone du front servez-vous maintenant ?

- Maintenant, nous sommes dans la direction de Toretsk, cela fera bientôt trois mois que nous y sommes, et dans cette direction un mois compte pour un an, tellement la situation est difficile là-bas.

- Dites-m ‘en plus, si vous le pouvez, quelle est la situation actuelle là-bas ?

- Toretsk est désormais l'un des principaux points sur lesquels l'ennemi fait pression. Dès que nous y sommes entrés, quelques jours plus tard, l’ennemi a lancé une attaque massive contre la ville. Lorsque nous sommes entrés, nous nous trouvions presque à proximité de la ville de Horlivka. Juste au moment où nous nous trouvions dans des positions plus proches d'Horlivka, occupée depuis 2014, l'ennemi a lancé une offensive massive - si massive que je n'ai jamais vu autant d'infanterie ennemie dans ma pratique. Ils n’arrêtaient pas d’attaquer. Il n’est tout simplement pas possible de tenir les positions sous telle pression. Notre unité tenait les positions aussi longtemps qu'elle le pouvait, mais néanmoins, au fil des combats, elle a dû s'éloigner petit à petit des positions qui pouvaient être encerclées ou contournées depuis les flancs. Notre unité, nous considérons qu'il vaut mieux préserver les soldats plutôt que de rapporter que nous avons réussi à tenir les positions à n'importe quel prix. Il est clair que nous tenons cette position autant que possible, mais lorsque la position cesse d'être efficace, c'est-à-dire que l'ennemi l'a contournée et a avancé, c'est-à-dire qu'elle ne joue aucun rôle dans la défaite de l'ennemi, dans son confinement, donc, quel est le but d'y laisser les gens, de sorte qu'en fin de compte ils soient encerclés et tués.

C'est pourquoi on recule progressivement les combats, et c'est ainsi que, pendant qu'une certaine partie des combattants tenait la défense dans les positions les plus difficiles, nous construisions simultanément la défense dans leur dos. Ensuite, l'ennemi s'est retrouvé coincé dans cette défense et a beaucoup ralenti. Pendant plusieurs semaines, nous avons en fait retenu l'ennemi autant que nous le pouvions, même s'il y a eu des semaines très sanglantes. Et puis des renforts sont arrivés, plusieurs brigades des forces armées, et de telles batailles à part entière ont commencé, où l'ennemi s'est déjà rendu compte qu'il ne pouvait pas avancer uniquement grâce à l'infanterie, et a déjà commencé à déployer massivement des armes lourdes et des véhicules de combat. Ça continue comme ça depuis trois mois déjà et je ne dirai pas que l'ennemi a avancé très profondément. Il a avancé plusieurs kilomètres, mais ce n'est pas des dizaines. Et en ce moment, des batailles se déroulent à Toretsk même, c'est une information est accessible au public sur le site de DeepState. Tout le monde pourrait la voir, ce site est régulièrement mis à jour et l'ennemi est vraiment dans la ville elle-même. La ville est également effacée de la surface de la terre, l'armée de l'air russe lance des frappes massives sur Toretsk, largue des dizaines de bombes aériennes par jour, une situation vraiment très difficile, très tendue. Je peux le décrire comme très stressant, mais pas catastrophique.

-Est-ce que les militaires arrivent à garder le moral ?

- Tout le monde éprouve une fatigue physique et morale, mais nous pouvons prendre certaines mesures, quand, disons, les combattants peuvent se reposer, voir leurs familles, et puis retourner au front, donc ça va. Mais quand on combat sut une zone de front où l'ennemi déploie de si grands efforts d'assaut, la fatigue psychologique s’accumule. Si vous êtes constamment dans une situation aussi critique, vous ne pouvez aller nulle part sans être fatigué, car vous ne dormez pas, vous êtes constamment dans cette situation et c'est très difficile. Mais personne ne dit que tout est perdu, nous avons marre de nous battre, tout est perdu.

- Qu’est-ce que vous aide à garder le moral dans les moments difficiles ?

- Je comprends que peu importe à quel point c'est difficile, peu importe à quel point je veux que certaines actions s'arrêtent, que tout se termine, me repose, je trouve toujours, en principe, d'une manière ou d'une autre la force en moi de continuer. Je suis surtout influencé et motivé par le fait que je ne gère pas seulement ma vie, mais que j’ai aussi des gens sous mes ordres, je comprends donc que si j’échoue, si je dégrade en termes de capacités mentales, en termes d'efficacité, de travail, alors cela affecterait ceux qui sont là. C'est pourquoi je n'ai pas le droit de m’asseoir comme ça, de mourir mentalement d'une manière ou d'une autre, de sorte que quelque chose m’assomme, je n’ai tout simplement pas le droit de faire ça, parce que les gars sont assis là dans les tranchées, ils attendent de moi une planification claire, des commandes claires, une compréhension de la situation et une aide à un moment critique. Si je suis inefficace, si je me remplis la tête de bêtises - que je suis déprimé, que je suis fatigué, que je n'en peux plus, si j'invente de telles scories dans ma tête, alors les gens peuvent mourir. En conséquence, je n'y ai aucun droit, c'est la principale motivation.

- Selon une étude sociologique récente, même si 20 % des Ukrainiens sont désormais prêts à engager des négociations de paix avec la Russie, les autres pensent que ce n’est possible que sous certaines conditions. À votre avis, quel type d’accord de paix envisagez-vous, si vous en voyez un, et à quelles conditions ?

- Écoutez, je fais une distinction entre la paix et le cessez-le-feu. Pour moi, la paix, c'est lorsque l'ennemi et moi avons résolu tous nos différends et traversons un processus difficile de restauration de nos relations. Par exemple, nous avions théoriquement un territoire contesté avec un ennemi, nous nous sommes battus et un des nous a récupéré ce territoire, ou nous l'avons divisé en deux et avons décidé que la poursuite de la guerre n'avait aucun sens. Je n'applique en aucun cas le mot « paix » aux Russes, je ne peux parler que de la cessation des hostilités, c'est-à-dire que je n'accepterai pas la paix avec eux. Tant que je suis en vie, je ne peux qu'arrêter de les combattre parce que peu importe ce que décideront les politiciens, je ne peux qu'arrêter de leur tirer dessus, mais je ne les supporterai jamais - après ce qu'ils ont fait. Je ne peux pas supporter quelqu’un qui rejette généralement ma nationalité ukrainienne, c’est-à-dire qui déteste mon peuple. Je ne peux pas les supporter, ils sont un ennemi existentiel éternel. Autrement dit, je n’aurai jamais la paix avec eux et mes enfants grandiront également avec la même compréhension. Mais un cessez-le-feu avec eux sera conclu un jour, c'est évident, toutes les guerres prennent fin. Dans quelles conditions ? Certainement pas dans celles qui existent aujourd’hui, il est impossible, même si c’est très difficile de mobiliser les gens, de maintenir le moral, de lutter contre les Russes. Et l'armée russe est l'une des armées les plus puissantes du monde, je ne veux pas écouter les histoires que ce serait soi-disant une troupe de bétail, une viande à canon. Oui, ils utilisent leurs militaires comme une viande à canon, mais c'est une armée très puissante, très ingénieuse, technologique à bien des égards, ils travaillent bien, et ils s’en sortent très bien avec des drones, des armes à longue portée, on le sent nous-mêmes, les systèmes occidentaux ne peuvent pas toujours l'intercepter. Il faut en tenir compte, ils ont une histoire militaire puissante et vieille de plusieurs siècles. Si nous ne l’admettons pas, nous perdons, nous devons y faire face. Les dirigeants de notre État déclarent directement qu'il n'y aura pas de paix dans ces conditions - et Dieu merci, il n'y en aura pas, car c'est tout simplement impossible. Bien entendu, nous aspirons tous à restaurer pleinement notre intégrité territoriale, à préserver notre souveraineté et à avoir le droit de disposer, de construire notre avenir tel que nous le concevons, d'adhérer à toutes organisations internationales et alliances militaires. Je suis sur ma terre, je fais ce que je veux. Aucun Russe, aucun bovin ne me dira ce que j’ai à faire, quelle union je dois rejoindre ou ne pas rejoindre. Tant qu'il me dira quoi faire, je me battrai avec lui pour qu'il n'ait plus d'arguments ni de force pour m'imposer quoi que ce soit. Nous allons nous battre avec eux jusqu'à ce qu'ils disent : qu'il y ait l'Ukraine, qu'il y ait des Ukrainiens, qu'ils fassent ce qu'ils veulent, réglons-nous, nous en avons assez de nos propres problèmes. Ensuite, nous cesserons le feu, nous clôturerons simplement avec une défense échelonnée irréaliste, prendrons des positions impénétrables - et nous isolerons simplement de ces monstres pendant plusieurs siècles à venir. Parce que le destin a voulu que ce soit notre voisin, nous ne pouvons rien y faire, c'est notre destin - être fort pas pendant un an, pas deux, pas trois, pas cinq, ça ne passera pas, nous devons être fort tout au long de l’histoire. La Russie est le plus grand pays sur la Terre, elle a beaucoup de ressources, beaucoup de gens et de nombreuses opportunités de nous tuer, nous devons donc être dix, vingt fois plus forts que toutes les autres nations de cette terre. Et je suis sûr que nous pouvons le gérer.

Diana Slavinska

La version intégrale de l’interview est disponible sur la chaine Youtube Ukrinform TV