Régis Genté, journaliste français, auteur du livre sur les liens de Trump avec la Russie

De nombreux indices indiquent que Trump est un « contact confidentiel » du KGB-FSB

Régis Genté est un journaliste et écrivain français spécialiste de l'espace post-soviétique et de la région du Caucase. Basé à Tbilissi depuis 22 ans, Régis Genté est correspondant, pour l’ancien espace soviétique, de RFI, France 24, Le Figaro et de nombreux autres médias français. Il a écrit pendant cette période de nombreux livres et articles. Il a notamment édité la première biographie en France du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Mais c'est son dernier livre, «Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes» qui a eu un véritable retentissement dans ce pays. Il y raconte comment, pendant quarante ans, les services spéciaux soviétiques puis russes ont « cultivé » l'actuel président américain. Cela nous permet de mieux comprendre la pensée géopolitique de Trump, ainsi que les raisons pour lesquelles il sera toujours du côté russe dans les négociations de paix. C'est du moins ce que pense l'auteur de ce livre, qui a accepté d’accorder une interview à une correspondante d'Ukrinform en France.

TRUMP ET LES RUSSES : QUARANTE ANS D'INTERACTION AVEC UN RÉSULTAT ATTENDU

- Vous avez écrit ce livre avant même que le destin de l'Ukraine et aussi celui d’une grande partie de l’humanité ne se retrouvent en quelque sorte entre les mains du personnage principal de votre livre. Ce document sur les liens de longue date de Trump avec les services de renseignement russes a désormais acquis une actualité intense. Comment avez-vous pressenti ce sujet, est-ce votre «instinct» de journaliste qui a fonctionné ?

- En fait, le livre est sorti au mois d’octobre et l’intérêt qu’il a suscité s’est rapidement amplifié dès le mois de février. Parce que c'est là qu’on a vu se réaliser ce que j’explique dans le livre, dont j’avais déjà terminé le manuscrit au mois de juin. J’explique que s’il y a un accord de paix ou un cessez-le-feu en Ukraine, négocié par Trump, ce sera sans aucun doute en faveur de la Russie.

Et pour le moment, malheureusement, c’est exactement ce que nous observons. Il est vrai que tout se complique un peu. Peut-être que Trump sera obligé de prendre davantage en compte l’opinion des Ukrainiens. Mais jusqu’à présent, ce que nous constatons, c’est exactement ce que j’avais prévu, à savoir un accord complètement en faveur des Russes. Ce n’est pas que je sois génial, c’est simplement que, en regardant l’histoire de Trump et des Russes pendant ces quarante dernières années, on voit qu’il est très pro-russe et qu’il a très envie de passer un accord avec les Russes contre les Ukrainiens.

- Oui, je comprends, mais pourquoi avez-vous eu l’idée d’écrire un livre sur ce sujet avant même la réélection de Trump?

- Tout d'abord, je vais vous dire un secret : je devais faire un livre sur Prigojine. Et puis Prigojine est mort, il a été tué, et, donc, le livre n’avait plus aucun intérêt. Et ensuite, il a fallu que je trouve un nouveau sujet et j’ai réfléchi pendant quelques temps, je ne trouvais pas d’idées et puis, à un moment donné, j’ai compris que ce sujet énorme était la relation entre Trump et la Russie. Parce que j’avais suivi ce qui s‘était passé en 2015 et 2016, j’avais déjà certaines impressions. Mais même lorsque je parlais avec des spécialistes de l'ex-URSS, je constatais qu’ils n’avaient qu’une idée vague de ce qui se passait. Alors je me suis dit que ce serait très important parce que Trump et Poutine pourraient effectivement faire des choses importantes concernant la paix en Ukraine et ainsi de suite. De plus, je me suis rendu compte que ce sujet des relations de Trump avec la Russie n’avait pratiquement jamais été traité dans des livres en France.

- Donc qui a été le premier spécialiste à vous fournir ces informations ? Qui vous a parlé le premier des liens entre Trump et la Russie?

- Il se trouve qu’il n’y avait qu’un seul livre en français, un très bon livre, mais qui datait de 2017, sur ce sujet, sur la collusion entre les Russes et Monsieur Trump. Et c’est le livre de Luke Harding, un journaliste britannique et correspondant du Guardian qui a travaillé en Russie pendant longtemps.

En novembre 2017, Harding a publié le livre « Collusion : réunions secrètes, argent sale et comment la Russie a aidé Donald Trump à gagner » sur le thème de l'ingérence russe dans les élections américaines de 2016. Le livre est basé sur le récit d'un ancien espion britannique qui affirme que Trump a fait l'objet d'au moins cinq ans de « culture » par les services de renseignement soviétiques (plus tard russes) avant son élection, peut-être dès 1987, lorsque c’était le KGB.

Mais ce livre datait de 2017 et beaucoup d’événements se sont produits après 2017. Il y a eu une rencontre à Helsinki, il y a eu tout le mandat de Trump entre 2017 et 2021. Donc, il fallait apporter de nouvelles informations. Comme il n’y avait pas de livres en français, je suis allé lire tout ce que j’ai pu trouver en anglais. Parmi ces documents, il y avait aussi des rapports officiels, comme l’enquête du Procureur spécial des Etats-Unis Robert Muller, beaucoup d’articles de presse d’investigation. Et puis d’autres rapports de groupes de réflexion et d’organisations. Donc, j’ai surtout beaucoup traduit de l’anglais en français et fait de la synthèse, et j’ai résumé toute l’histoire sur 200 pages.

Après cela, je suis allé aux États-Unis, j’ai rencontré des gens du renseignement, des diplomates, des analystes républicains et démocrates. Ce n’est pas un livre qui contient beaucoup de nouveautés, c’est plutôt une synthèse de tous les témoignages, et comme je suis spécialiste de la Russie et de l'URSS, j'ai apporté beaucoup de connaissances et de compréhension personnelle sur le mode de fonctionnement de la Russie, des autorités russes, pour bien expliquer aux Français toute cette histoire.

PAS UN AGENT, MAIS UN « CONTACT CONFIDENTIEL » DU KGB

- Vous avez donc rassemblé de nombreuses témoignages, de nombreux faits, et ils illustrent tous la merveilleuse relation de Trump avec la Russie, qui dure depuis près de quarante ans. Mais existe-t-il un fait, une super preuve des plus convaincantes de son rôle dans ce système ?

- Ce serait une erreur, à mon avis, de dire que Trump est un « agent du KGB ». Un «agent», c’est quelqu’un qui sait pour qui il travaille et reçoit de l’argent, par exemple, pour transmettre des informations. Trump est en réalité ce qu’on appelle communément un « contact confidentiel ». C'est le vocabulaire du KGB, et a priori il s’agit bien de cela. Et, donc, ça veut dire qu’il n’est pas payé, mais qu’on l’aide, qu’on l’accompagne, qu’on l’aide à rencontrer des gens, qu’on l’aide à faire circuler de l’argent de son business à travers des mafieux, à travers des oligarques, à travers différents types de banques etc. Donc, en fait, c’est quelqu’un qu’on a aidé, qu’on a «cultivé». C'est exactement ainsi que Trump a été «cultivé» pendant quarante ans, avec des degrés d'intensité variables, à travers la « mafia rouge », par exemple les Russes exilés aux États-Unis dans les années 1970, notamment à Brighton Beach. Chaque fois qu'il était au bord de la faillite, les mafieux rouges investissaient de l'argent dans ses projets ou blanchissaient de l'argent par le biais de ses casinos. Il est plus difficile de le prouver, mais il existe aussi un rôle « obscur » de la Deutsche Bank, qui lui a prêté des centaines de millions de dollars entre 1990 et 2000. La banque d'État russe VTB s'est alors rapprochée au maximum de Trump par l'intermédiaire de la Deutsche Bank et a pu aider son entreprise. Donc, en substance, c’est Trump qui a été aidé par les services de renseignement russes. Ils l’ont «cultivé».

- Bien sûr, les services secrets sont un grand mystère...

- Oui, donc nous n’aurons jamais de dossier qui indique clairement que M. Trump est un «contact confidentiel». Nous avons beaucoup d’indices, des indices très, très clairs, et ils pointent tous dans la même direction. Ils désignent tous une personne «cultivée» aux États-Unis par les services de renseignement russes. Nous commençons par son voyage en 1987, le premier voyage à Moscou en juillet 1987, où nous savons que c'était une opération du KGB, nous le voyons, nous connaissons beaucoup de détails sur la façon dont elle a été organisée, notamment par une agence de voyage soviétique, qui était évidemment une organisation complètement liée au KGB. Tous les indices sont importants et tous confortent cette hypothèse. Et le résultat final est que cette même personne négocie désormais la paix entre l’Ukraine et la Russie.

TRUMP MÉPRISE LES « PETITS ÉTATS » ET N'ACCEPTE PAS LA DÉMOCRATIE LIBÉRALE

- Oui, aux yeux de beaucoup son attitude est « pro-Poutine ». Est-ce que Trump apprécie Poutine en tant que leader ?

- Il y a deux choses ici. D’un côté, il a été «élevé» par le KGB, par le Kremlin – étape par étape, lentement, pendant 40 ans. Mais, d’un autre côté, Trump lui-même, sur le plan personnel, en raison de sa compréhension du monde, des relations internationales, etc., est compatible avec l’URSS ou avec la Russie. Il aime les États forts. Il estime que les relations internationales doivent être fondées sur la force.

Trump méprise les petits États comme l’Ukraine ou la France. Il n’aime vraiment pas la démocratie libérale. Cela signifie également qu’il est personnellement, indépendamment de la Russie, enclin à coopérer, à être un compagnon de route de la Russie, de Moscou. Il s’agit donc d’une combinaison de ses préférences personnelles et du fait que Poutine a été «éduqué» et a travaillé, entre autres, au KGB.

- Est-ce qu'il s'en rend compte ? Est-ce qu'il le comprend lui-même ?

- Je ne sais pas à quel point il est influencé par d’autres personnes. En même temps, ce n’est pas si important pour lui. Par exemple, il a reçu beaucoup d’argent de la part de mafieux rouges partis en exil. Près de cinquante membres de la « mafia rouge » ont établi des relations directes ou indirectes avec Trump. Et aucun d’entre eux n’a jamais cessé de coopérer avec les services soviétiques puis russes, même après avoir quitté l’URSS. Mais cela lui était indifférent. Il recherchait un succès immédiat. Donc même s'il blanchit de l'argent sale grâce à ses casinos, s'il aide à acheter des appartements dans le gratte-ciel Trump à Manhattan, cela ne l’inquiète pas. Il construit une carrière, un business, même s'il aurait dû se rendre compte qu’on lui demanderait des choses en échange.

- Il existe une version selon laquelle, lorsque Trump a été élu la première fois, la chose la plus importante pour lui était les affaires, c'était un homme « d'argent ». Et maintenant, alors qu’il entame son deuxième mandat, une dimension idéologique s'est ajoutée. Trump, comme Poutine, est en réalité un adepte d’un néo-impérialisme prédateur…

- Je ne pense pas qu'il ait changé. Il était comme ça dès la première fois. Le problème avec le premier mandat, c’est qu’il n’était pas seul. Il a dû travailler avec d’autres hauts fonctionnaires américains qui servaient les intérêts nationaux américains. Mais Trump est aussi un homme d’idéologie. Il ne sympathise clairement pas avec la démocratie libérale. Il ne s’agit donc pas seulement d’économie.

Vous savez, la politique étrangère de tout pays – qu’il s’agisse d’une démocratie ou d’une dictature, peu importe – est toujours déterminée en premier lieu par sa politique intérieure. Parce qu’il faut être élu, il faut détenir le pouvoir. Il faut aussi élargir son électorat, son public. Et Trump a clairement l’intention de changer la nature de la démocratie américaine. Il veut repenser la Constitution, en particulier l’article 2 de la Constitution américaine, pour concentrer le pouvoir entre les mains du président. Et donc je pense aussi qu’il a besoin d’autres régimes un peu similaires au sien pour se légitimer sur la scène internationale.

- Est-ce ainsi qu’il démontre sa réflexion stratégique ?

- Vous pouvez voir comment il prend des décisions. Il prend des décisions hâtives pour obtenir un gain politique immédiat. Donc ce n’est pas tout à fait vrai. En même temps, de nombreuses personnes autour de lui ont des théories étranges.

TRUMP ET POUTINE PARLENT LE MÊME LANGAGE

- Pourquoi une personne soi-disant aussi forte « fond-elle », comme l’écrivent les médias français, lorsqu’elle parle à Poutine, comme cela s’est produit, par exemple, à Helsinki ?

- D'abord parce qu'il partage avec lui sa vision du monde. Il est également à l’aise avec la façon de faire de Poutine. On s’en rend compte quand on le voit menacer le Danemark de prendre le contrôle du Groenland, quand il déclare que le Canada doit devenir le 51e État des États-Unis. Il a une vision des choses plutôt impérialiste et brutale, et c’est exactement la même que celle de Poutine. Trump ne se comporte donc pas de cette façon pour plaire à Poutine. Ils se ressemblent plus ou moins.

Ou voici un exemple qui ne figure pas chez moi, mais qui est cité dans un livre d'Herbert McMaster, conseiller à la sécurité nationale de Trump en 2017-2018. Il y révèle des détails, notamment la manière dont Poutine manipule ou tente d’influencer Trump. Par exemple, Poutine dit : « Vous avez la doctrine Monroe aux États-Unis, c’est une doctrine de sphères d’influence régionales. » Et en fait, Trump est un grand fan de Theodore Roosevelt, alors Poutine lui explique que Roosevelt était en fait un impérialiste américain, et il dit : « Je vais faire la même chose pour ma zone, pour moi, pour l’ex-URSS. Chacun peut étendre son influence dans son propre domaine.»

Et on peut imaginer que lorsque Poutine expose cela de manière convaincante à Trump, cela agit sur lui, l’impressionne, car ils parlent exactement la même langue.

LA SCÈNE DANS LE BUREAU OVALE ÉTAIT UNE MISE EN SCÈNE POUR UN PUBLIC AMÉRICAIN

- Quand vous avez vu la scène entre le président ukrainien et Trump et Vance dans le bureau ovale, quelle a été votre réaction ?

- Ce n’était pas une surprise pour moi. Vous voyez, il essaie généralement de poser des conditions à l’Ukraine qui rendront l’accord avantageux pour la partie russe. Si vous ne donnez pas d’armes à l’Ukraine, la guerre se terminera beaucoup plus vite. La Russie fera ce qu’elle veut et nous aurons la paix, mais par la capitulation de l’Ukraine. Je pense donc que tout cela était un coup monté. Zelensky était à peine sorti de sa voiture que Trump lui faisait déjà la remarque qu'il ne portait pas de costume. Et puis un journaliste dans le bureau a critiqué la tenue vestimentaire de Zelensky, disant qu'il ne respectait pas le peuple américain.

Vance a ensuite repris le même sujet : le manque de respect envers le peuple américain. Je pense donc que cela est clairement révélateur d'un événement mis en scène, qui a été préparé spécialement pour que le public américain dise : « Écoutez, nous ne pouvons plus soutenir un pays comme celui-ci, ils ne nous respectent pas. » Et en conséquence, les Américains ont annoncé pratiquement le lendemain qu’ils arrêtaient toute aide, militaire et financière, à l’Ukraine. Donc, quoi qu’ait fait Zelensky, il serait tombé dans ce piège, et ils l’auraient critiqué de toute façon. Et donc je pense qu’il a bien fait de réagir, de leur résister autant qu’il le pouvait. Et il a réussi, car plus tard, nous avons vu que Trump a dû parler à nouveau à Zelensky et essayer de prendre en compte l'opinion ukrainienne.

- Comment commenteriez-vous la position de votre président, Macron, dans ce processus de négociation à plusieurs niveaux ?

- Nous voyons que Macron a pris une position très claire, il est convaincu que l'Ukraine doit être défendue et que la défaite de l'Ukraine serait extrêmement dangereuse pour l'existence même de l'Europe et favoriserait la possibilité d'une nouvelle agression contre un membre de l'OTAN, par exemple la Pologne. Macron a pris l’initiative sur cette question. De plus, ces événements renforcent la justesse de sa déclaration, faite en 2017, sur la nécessité pour l’Europe d’être moins dépendante des États-Unis, d’avoir sa propre défense européenne. Aujourd’hui, Macron essaie d’être un leader en Europe, de promouvoir la question d’une armée européenne, et il essaie aussi, avec la Grande-Bretagne et peut-être même le Canada, de résister et de rendre l’Europe plus indépendante en termes de défense.

J’ai tendance à penser que ce sera très difficile car l’Europe a toujours été divisée sur cette question. Parallèlement, nous avons constaté ces dernières années que, lorsque des défis très graves se sont présentés, comme le Covid ou le début de la guerre en Ukraine, l’Europe a su se mobiliser. Nous verrons dans les semaines à venir si cela peut être mis en œuvre. Notamment en ce qui concerne la présence des Européens aux négociations. Car l’idée de troupes européennes en Ukraine comme garantie de sécurité ne peut être mise en œuvre sans l’Europe.

LA RUSSIE POURSUIT SON OFFENSIVE POLITIQUE EN GÉORGIE

- Puisque vous vivez en Géorgie depuis plus de deux décennies et que vous avez écrit de nombreux articles sur les événements dans le Caucase, je ne peux m’empêcher de vous interroger sur vos sentiments actuels. Que pourrait-il se passer en Géorgie dans le contexte des récentes manifestations ? Devons-nous nous attendre à des changements significatifs ?

- En fait, je dis toujours que la guerre en Ukraine a commencé avec la Géorgie. C'est la même guerre. Il s’agit de la même tentative de la Russie de reprendre le contrôle de ses pays voisins contre la volonté du peuple, contre la volonté des Géorgiens. Ce qui se passe en Géorgie depuis un an est en réalité une offensive politique, pas une offensive militaire, mais une offensive politique de la Russie pour reprendre le contrôle, car aujourd'hui ils ont un atout très important en la personne de leur oligarque Bidzina Ivanishvili, qui est complètement contrôlé par la Russie parce qu'il a fait fortune là-bas.

Il a donc mis en œuvre toute une politique visant à arracher la Géorgie de l’Occident, en instaurant chaque jour un régime de plus en plus autoritaire pour faire taire toutes les positions pro-européennes actives. Je dois souligner qu’il est désormais en train de réussir, et nous avons la Géorgie en train de sortir de l’orbite européenne, de son état d’esprit, de sa dynamique démocratique, pour redevenir un État autoritaire dirigé par un oligarque pro-russe.

- Vous pensez donc que, malgré toutes ces protestations, malgré les sanctions et le soutien politique de l’Europe, la Russie sera enfin capable de prendre le contrôle du pays ?

- Regardez, les manifestations continuent, mais voici ce qui se passe en ce moment même. Les gens ont davantage peur parce que, par exemple, les autorités ont augmenté le niveau des amendes si l’on estime que vous avez occupé la rue, perturbé l’ordre. Aujourd'hui, une telle amende s'élève à 5 000 lari, c’est-à-dire environ 1 700 euros. C'est énorme. Il existe des mécanismes de solidarité pour payer les amendes, mais celles-ci restent énormes et de nombreuses personnes ne peuvent plus aller manifester, simplement pour cette raison. C’est ainsi que la dictature se renforce.

Cependant, si quelque chose d'important se produit dans un avenir proche, une décision, alors des dizaines de milliers de personnes, malgré cette peur, sortiront à nouveau dans les rues pour manifester. Le gros problème réside dans la nature du mouvement d’opposition. C’est mouvement horizontal, c’est-à-dire sans leader. D’ailleurs, en partie parce qu’ils ont réussi à les diviser, donc c’est un mouvement qui ne peut pas prendre de décisions. Il est très puissant, il est sincère, il a beaucoup d’énergie, il est créatif, mais en même temps, il est incapable de prendre des décisions. Le 1er mai de l’année dernière (lors des protestations contre la loi sur les « agents étrangers », – ndlr), au moins 80 000 personnes sont descendues dans la rue, ce qui est très significatif. Mais ce n’était pas suffisant, parce qu’il n’y avait pas la volonté de durcir le mouvement, d’aller jusqu’au bout, comme ce fut le cas en Ukraine. Ils auraient dû aller de l’avant et s’emparer des institutions gouvernementales, mais au lieu de cela, ils ont voulu rester pacifiques, et donc, en définitive, c’est un mouvement qui est en train de perdre. Pour le moment.

Lidia Taran, France