Human Rights Watch : Il faut d’urgence aider les civils à fuir Marioupol

Human Rights Watch : Il faut d’urgence aider les civils à fuir Marioupol

Ukrinform
L’ONG Human Rights Watch exhorte la communauté internationale à déployer tous efforts nécessaire pour évacuer les civils de la ville de Marioupol assiégée depuis plusieurs semaines par l’armée russe.

Les forces russes qui occupent désormais la majeure partie de la ville portuaire de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, devraient faire en sorte que les civils qui sont encore dans la ville puissent la quitter en toute sécurité et rejoindre les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien s’ils le souhaitent, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les personnes âgées ou handicapées, les malades et les blessés nécessitent une attention toute particulière.

Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, qui visite Moscou et Kyiv cette semaine, devrait donner une haute priorité au sort des civils à Marioupol et souligner que les dirigeants russes de haut rang pourront être tenus responsables de tous les cas de décès illégaux de civils et d’autres graves violations du droit international humanitaire. Les forces russes doivent respecter leur obligation fondamentale, au regard du droit international humanitaire, de faire une distinction entre civils et combattants et de prendre toutes les précautions possibles pour protéger les civils.

« Après avoir survécu à deux mois de terreur, cachés dans des sous-sols tandis que leur ville était réduite en cendres et en un tas de décombres, les civils qui sont toujours à Marioupol ont un besoin urgent d’assistance et de voies d’évacuation sûres », a déclaré Ida Sawyer, directrice de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Le Secrétaire général Guterres et les autres dirigeants internationaux devraient insister auprès des hauts responsables russes pour obtenir qu’ils assurent des voies de passage sûres vers le territoire contrôlé par l’Ukraine. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 56 personnes qui ont fui Marioupol entre la mi-mars et la mi-avril. Elles ont décrit une situation catastrophique dans la ville et comment les habitants qui partaient plus récemment étaient contraints de se rendre en Russie ou en territoire sous contrôle de la Russie, à moins qu’ils n’aient les moyens financiers et la capacité d’organiser leur fuite par un moyen de transport privé, par des routes dangereuses.

Le nombre de civils pris au piège à Marioupol demeure incertain. Les responsables ukrainiens avancent le nombre de 120 000, mais il ne peut pas être vérifié.

Suite à un siège qui a commencé vers le 2 mars 2022, les forces russes occupent désormais la quasi-totalité de Marioupol, à l’exception d’un dernier bastion des forces ukrainiennes à l’usine sidérurgique d’Azovstal où, selon les autorités ukrainiennes, quelques milliers de militaires ukrainiens, dont environ 500 blessés, et 1 000 civils, résisteraient encore. En dépit de l’ordre donné en direct à la télévision par le président russe Vladimir Poutine le 21 avril d’assiéger l’usine au lieu d’essayer de la prendre d’assaut, le bombardement d’artillerie russe a continué au moins jusqu’au 24 avril.

Le nombre total de civils tués à Marioupol demeure également inconnu. Les autorités ukrainiennes estiment que 20 000 personnes ont peut-être été tuées dans cette ville depuis le début de la guerre.

Des responsables ukrainiens ont affirmé que les forces russes avaient enterré un grand nombre de civils dans deux énormes fosses communes, une à Manhouch, à 20 kilomètres à l’ouest de Marioupol, l’autre à Vynohradne, à 14 kilomètres à l’est de la ville. Des images satellite que Human Rights Watch a analysées indiquent que chacun de ces deux sites se trouve à proximité du cimetière du village. À Manhush, des signes de l’existence d’une fosse commune apparaissent sur les images satellite entre le 23 et le 26 mars, et à Vynohradne, entre le 26 et le 29 mars. Ces deux fosses se sont agrandies considérablement ces dernières semaines. À Manhush, à la date du 24 avril, le site avait triplé en longueur. À Vynohradne, au 20 avril, le site occupait environ 1,125 mètres carrés.

Une professeure d’anglais âgée de 57 ans, qui s’est réfugiée pendant plus de trois semaines à l’hôpital régional des soins intensifs de Marioupol, a affirmé que des soldats russes lui avaient dit début avril qu’ils emportaient des corps à Manhush pour les enterrer. Les corps s’étaient amoncelés à l’hôpital, a-t-elle précisé, incluant ceux de blessés qui succombaient sur place à leurs blessures et ceux de personnes qui avaient été retrouvées mortes dans les rues. « Les Russes nous ont dit qu’ils emportaient les corps à Manhush », a-t-elle indiqué. « Ils utilisaient cette camionnette pour les emporter. Je les ai vus à deux reprises charger des corps dans la camionnette alors que je sortais pour aller chercher de l’eau, puis ils nous ont ordonné de ne plus utiliser cette sortie. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 43 personnes qui ont quitté Marioupol à la mi-mars et ont réussi à atteindre Zaporizhzhia en territoire contrôlé par l’Ukraine, après avoir entendu parler de possibles voies d’évacuation par le bouche-à-oreille. Comme Human Rights Watch l’a précédemment documenté, ces personnes ont voyagé à bord de véhicules privés, traversant de multiples postes de contrôle le long des 80 kilomètres de route en territoire contrôlé par les Russes, jusqu’à Berdyansk. Là, certaines ont pris des autobus, tandis que d’autres poursuivaient leur route en véhicules privés jusqu’à Zaporizhzhia, où des bénévoles et des organisations humanitaires leur ont prodigué une assistance.

De nombreux autres civils n’ont pas pu ou n’ont pas voulu prendre le risque d’emprunter cette route dangereuse pour quitter Marioupol. Les liaisons par téléphone portable et les connexions à l’internet étant coupées depuis début mars, les civils n’avaient aucun moyen d’obtenir des informations sûres sur de possibles itinéraires d’évacuation et beaucoup ont estimé qu’il était plus sûr pour eux de rester dans leurs abris, malgré la détérioration des conditions et les pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments. D’autres ne disposaient d’aucun moyen de transport hors de la ville, notamment parce que leur voiture avait été détruite par les tirs d’artillerie ou qu’il était trop dangereux d’essayer de la récupérer.

Aux alentours du 21 mars, il était devenu encore plus difficile pour les civils de s’échapper de la ville pour rejoindre les territoires contrôlés par l’Ukraine. Human Rights Watch a interrogé 13 civils qui ont quitté Marioupol entre le 21 mars et le 11 avril, quand les forces russes avaient déjà occupé la majeure partie de la ville. Tous ont affirmé que les forces russes ne leur avaient fourni aucune possibilité ni aucune aide pour rejoindre les territoires tenus par le gouvernement ukrainien, où tous souhaitaient se rendre. Beaucoup d’entre eux ont donné des témoignages personnels et des informations qu’ils avaient au sujet de membres de leur famille et d’amis, et sur le fait que les forces russes transportaient des civils vers les territoires contrôlés par la Russie et vers la Russie.

Une femme, qui a tenté de fuir les combats en compagnie de ses voisins le 8 avril, a affirmé que les forces russes les avaient fait monter à bord d’un véhicule blindé russe, qui les a emmenés au village de Vynohradne, où leurs documents et leurs bagages ont été inspectés et leurs noms enregistrés, et où ils ont été placés à bord d’un bus en direction de Bezimenne, ville située en territoire de la « République populaire du Donetsk » (Donetsk People’s Republic, DNR), soutenue par la Russie et qui n’est pas contrôlée par le gouvernement ukrainien.

Après avoir passé trois nuits dans un centre communautaire, ils ont été emmenés en bus à Starobesheve, également située en DNR, pour ce que les militaires russes ont appelé un « processus de filtrage. » Elle a indiqué que des personnels russes avaient pris leurs empreintes digitales et noté leurs informations personnelles, les avaient photographiés et leur avait fait remplir un questionnaire, portant notamment sur leurs relations avec l’armée ukrainienne et sur leurs opinions politiques.

Le lendemain, un autre bus les a emmenés à la frontière russe, où ils ont été de nouveau questionnés, puis à Tagonrog où, ont-ils indiqué, un vaste complexe sportif abritait des centaines d’habitants de Marioupol. Cette femme a affirmé que, craignant d’être envoyées loin de là dans une ville russe, elle et six autres personnes ont mis leurs ressources en commun pour louer une voiture privée qui les a conduites à Tbilisi, en Géorgie.

En quittant Marioupol, « nous aurions saisi toute occasion d’aller en Ukraine si elle s’était présentée, bien sûr », a-t-elle dit. « Mais nous n’avions pas le choix. Il n’y avait pas de possibilité d’y aller. »

Une femme de 24 ans venue d’un village situé à 13 kilomètres de Marioupol, dont les forces russes avaient apparemment pris le contrôle aux alentours du 13 mars, a déclaré qu’elle avait effectué un trajet similaire vers Bezimenne, puis vers Tagonrog, aux alentours du 15 mars. Par la suite, elle a pu trouver un moyen de transport jusqu’à St. Petersburg, puis jusqu’à un pays de l’Union européenne, mais elle a affirmé que sa tante et deux cousins, qui avaient également été transportés d’Ukraine en Russie, n’avaient pas pu quitter la Russie.

Deux femmes qui ont quitté Marioupol le 21 mars et une autre qui en est partie le 11 avril ont déclaré qu’on leur avait dit qu’elles pourraient prendre des bus vers Zaporizhzhia si elles se rendaient à Nikolske (Volodarsk), à une vingtaine de kilomètres de Marioupol en territoire contrôlé par les Russes. Une fois à Nikolske, l’une des femmes ayant quitté Marioupol le 21 mars a déclaré : « Nous avons commencé à demander si nous pouvions prendre un bus pour Zaporizhzhia. Mais on nous a dit qu’il n’y en avait plus... Nos seules options étaient en territoires russes: la DNR, Rostov sur le Don [en Russie], n’importe quelle région russe, mais que nous devions renoncer à l’Ukraine. » Mais ces femmes ont indiqué qu’elles avaient suffisamment d’argent liquide pour louer des véhicules privés qui les ont conduites à Berdyansk, puis à Zaporizhzhia.

De nombreux autres habitants de Marioupol ont apparemment abouti en Russie contre leur volonté, se retrouvant dans l’impossibilité d’en partir, mais leur nombre exact demeure inconnu. Une femme de Marioupol qui a réussi à rejoindre Zaporizhzhia a déclaré que sa sœur était montée le 26 mars à bord d’un bus dont on lui avait dit qu’il irait à Zaporizhzhia, mais elle s’est retrouvée à Rostov, en Russie, et est maintenant dans la région de Pskov, toujours en Russie. « Nous sommes en contact … mais elle a peur de parler, même à moi », a dit cette femme.

Les autorités ukrainiennes ont affirmé le 18 avril que les forces russes avaient emmené « de force » environ 40 000 habitants de Marioupol de l’autre côté de la frontière en Russie, et les autorités russes ont affirmé le 22 avril que 143 631 habitants de Marioupol avaient été évacués vers la Russie. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces chiffres.

 « La ville de Marioupol et ses habitants ont déjà subi des horreurs indicibles », a affirmé Ida Sawyer. « Afin de protéger la vie et la dignité des dizaines de milliers de civils qui sont apparemment encore dans cette ville, le Secrétaire général Guterres devrait mobiliser la communauté mondiale pour qu’elle se tienne aux côtés des habitants de Marioupol et presser les forces russes pour qu’elles facilitent immédiatement la livraison d’aide et une voie de passage sûre pour ceux qui veulent partir. »

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