Selon HRW, la dévastation de Marioupol par les forces russes pourrait être considérée comme un crime de guerre
Selon ce rapport, l’assaut militaire russe contre la ville ukrainienne de Marioupol entre février et mai 2022 a fait des milliers de morts et de blessés parmi les civils, dont beaucoup lors d’attaques apparemment illégales, et a piégé des centaines de milliers de personnes pendant des semaines tout en les privant de services de base.
Le président russe Vladimir Poutine et d’autres responsables devraient faire l’objet d’une enquête et de poursuites de manière appropriée pour leur rôle dans les crimes de guerre apparents commis par les forces russes pendant les combats, et la Russie devrait fournir des réparations aux victimes des violations du droit de la guerre, ainsi qu’à leurs familles.
Le rapport de 224 pages, intitulé «Our City Was Gone: Russia’s Devastation of Mariupol, Ukraine » accompagné d’un reportage multimédia et d’une vidéo d’une vingtaine de minutes, examinent les souffrances des civils et les destructions de milliers de bâtiments, dont plusieurs centaines de tours d’habitation, d’hôpitaux, d’établissements d’enseignement et de maisons de retraite. Ces documents décrivent aussi les tentatives répétées des responsables ukrainiens et des agences internationales pour organiser des évacuations à titre officiel et des livraisons d’aide, en dépit des obstructions russes.
« La dévastation de Marioupol par les forces russes constitue l’un des pires chapitres ayant suivi leur l’invasion à grande échelle de l’Ukraine », a déclaré Ida Sawyer, directrice de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les organismes internationaux et les gouvernements attachés à la justice devraient se concentrer sur l’ouverture d’enquêtes sur les hauts responsables russes qui paraissent liés à la supervision de crimes de guerre dans cette ville autrefois si dynamique. »
Le rapport s’appuie sur 240 entretiens menés par Human Rights Watch et Truth Hounds, une importante organisation ukrainienne de défense des droits humains, avec des habitants de Marioupol pour la plupart déplacés, et sur l’analyse de plus de 850 photos et vidéos, de documents et de dizaines d’images satellite par Human Rights Watch et SITU Research. Le document multimédia numérique comprend des modèles en trois dimensions (3D) de sept bâtiments endommagés lors d’attaques apparemment illégales, des graphiques sur les écoles et les hôpitaux endommagés, ainsi qu’une analyse des sites funéraires dans le but de faciliter l’estimation du nombre de morts.
Les organisations ont documenté en détail 14 attaques qui ont endommagé ou détruit 18 bâtiments, tuant et blessant des civils. Ces attaques ont notamment touché deux hôpitaux, le théâtre de la ville qui abritait des civils, un entrepôt de nourriture, un site de distribution d’aide, un supermarché et des immeubles d’habitation qui servaient d’abris. Human Rights Watch et Truth Hounds n’ont trouvé aucune preuve d’une présence militaire ukrainienne à l’intérieur ou à proximité des structures touchées lors de ces attaques, ou dans certains cas seulement une présence militaire minime, rendant ces attaques apparemment illégales.
Dans un cas, un homme qui a aidé à sauver des survivants et à récupérer des corps dans les décombres d’un immeuble d’habitation touché par une frappe le 13 mars 2022 a décrit ce qu’il a vu. « Le bâtiment était tout simplement pulvérisé », a-t-il déclaré. « Il ne restait presque rien, juste une partie d’une salle de bain et un bout de couloir.... [Un homme à côté de sa mère décédée] était couvert de sang. Du sang sortait de ses oreilles, de son nez et de ses yeux, et il pleurait.... [Un autre homme] portait son enfant sans vie et lui parlait. Il n’arrêtait pas de dire : "L’enfant ne pleure pas". » L’attaque a tué huit civils et en a blessé trois autres.
« Malgré les défis que représente la conduite d’enquêtes sur les crimes de guerre dans des zones rendues inaccessibles par l’occupation russe, nos partenaires et nous-mêmes avons passé près de deux ans à découvrir la vérité sur les crimes horribles commis par les forces russes à Marioupol », a déclaré Roman Avramenko, Directeur général de Truth Hounds. « Cette enquête vise à garantir que ces crimes ne seront jamais oubliés et que leurs auteurs seront traduits en justice. »
L’analyse de l’imagerie satellite, des photos et des vidéos des principaux cimetières de la ville a révélé que plus de 10 000 personnes ont été enterrées à Marioupol entre mars 2022 et février 2023. En comparant la multiplication des tombes avec le taux de mortalité habituel de la ville, les groupes estiment qu’au moins 8 000 personnes sont mortes à la suite de combats ou de causes liées à la guerre, même si le nombre de civils parmi ces personnes reste une inconnue.
Le nombre total de morts pourrait être nettement plus élevé : certaines tombes contenaient plusieurs corps et les restes d’autres personnes ont très probablement été enterrés dans les décombres. Des personnes ont pu être enterrées dans des tombes de fortune et d’autres sont peut-être décédées plus tard de causes liées à la guerre. Certains proches de disparus sont toujours à la recherche de leurs proches.
Des milliers de personnes ont été blessées, dont beaucoup ont perdu des membres, la vue, l’ouïe ou la mémoire, notamment à la suite de lésions cérébrales traumatiques causées par les explosions.
« Le cas de Marioupol illustre tristement la cruauté des destructions et des souffrances causées par les armes explosives dans des villes et villages du monde entier », a déclaré Ida Sawyer. « Tous les gouvernements devraient soutenir les efforts de justice concernant les crimes commis en Ukraine, et signer la déclaration internationale condamnant l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées ».