« Commandants de notre victoire » est un cycle de programmes dont les héros sont des commandants de diverses troupes et grades. Nous invitons au studio Ukrinform des militaires qui, avec leur expérience et leur autorité, leur professionnalisme et leur foi incontestable dans la victoire, ont déjà écrit leur nom dans l'histoire moderne de l'Ukraine.
Aujourd'hui, notre interlocuteur est le commandant de l'escadron d'aviation de la 114e brigade d'aviation tactique, le lieutenant-colonel Ivan Smeretchansky (surnom « Smereka »).
- Lorsque nous présentons nos vœux à des amis, des connaissances et des parents, nous leur souhaitons toujours un ciel paisible, surtout ces dernières années. Qu’associez-vous au ciel, étant donné que c’est votre lieu de travail ?
- Quand j'étais enfant, j'allais à l'aéroport avec mon père et j'ai vu des avions, je rêvais de devenir pilote. Et maintenant, je vole depuis plus de 10 ans. Le ciel avant l'invasion à grande échelle était comme ça pour moi : les nuages, le soleil, tout est très intéressant vu du ciel, c'est à couper le souffle. Mais maintenant vous comprenez que c'est très dangereux.
- Où avez-vous étudié et servi jusqu'en 2022 ?
- J'ai obtenu mon diplôme de l'Université de Kharkiv en 2016, puis j'ai été envoyé à Ivano-Frankivsk pour servir dans la 114e brigade d'aviation tactique, où j’occupe aujourd'hui le poste de commandant d'un escadron d'aviation. J'y suis arrivé en tant que simple lieutenant-pilote et j'ai ainsi progressivement « grandi » jusqu'à devenir commandant d'un escadron d'aviation.
- Est-ce qu'on naît pilote ? Est-ce encore un travail épuisant sur soi ?
- Tout le monde veut voler, mais ce n'est pas donné à tout le monde. J’ai connu des cadets qui étaient en bonne santé, possédaient des connaissances excellait, mais ne pouvaient pas piloter un avion. Autrement dit, dans une certaine mesure, on peut dire que oui, en effet, il faut naître pilote.
- Votre tout premier vol, vous en souvenez-vous, comment c'était ?
- Oui, bien sûr, on se souvient de tous les premiers vols indépendants. Le premier vol est mémorable lorsque vous prenez votre envol, même avec un instructeur, et une autre sensation est lorsque vous êtes seul, sans instructeur, c'est-à-dire que vous conduisez un véhicule de combat ou même un véhicule civil. En 1ère ou 2ème année, j’ai piloté un avion à moteur léger, mais j’ai tout de même vécu toutes les émotions. Tout ce que tu sens quand tu pilotes un avion tout seul, tu as toute la responsabilité et tu dois faire atterrir l'avion. Et dans nos traditions aériennes, il arrive que lorsque vous atterrissez, vous soyez accueilli par vos camarades, puis ils vous jettent, vous frappent contre le flanc de l'avion... Ces jours et ces moments sont gravés dans mon mémoire pour toute ma vie.
- Vous avez déjà évoqué une tradition, parlez-nous-en davantage sur les présages et les superstitions - nous savons que les pilotes l'ont.
- Oui, nous sommes superstitieux, on évite de se raser avant le vol et prendre des photos. Je ne sais pas, quelqu'un dit que ce n'est pas vrai, mais malgré ça, j'adhère à mes superstitions.
- Parlez-nous du début d'une invasion à grande échelle et de la façon dont votre attitude envers le travail a changé... Parlez-nous, s'il vous plaît, du moment où le ciel est devenu dangereux?
- Quand la guerre à grande échelle a commencé, j’étais dans la région de Kharkiv, j'étais juste dans l'avion, nous étions en régime spécial d'alerte et j’ai vu de mes propres yeux comment ils (Les Russes –ndlr) ont commencé à bombarder Kharkiv. Au début, je pensais que c'était une sorte de cauchemar nocturne, que je me réveillerais maintenant - et que tout irait bien, mais malheureusement, cela n’était pas le cas. Quand je suis monté dans le ciel, il était environ 4 heures du matin, je ne me souviens même plus exactement, puis j'ai vu des incendies, des bombardements contre des aérodromes, des quartiers résidentiels et j'ai compris que la guerre avait vraiment déjà commencé.
- Comment se sont déroulés ces premiers jours, quelles étaient vos tâches ?
- Kharkiv a été lourdement bombardée, nous avons retiré les avions de l'attaque vers un autre aérodrome, et de là nous effectuions des missions dans la région de Kherson, quand les Russes ont commencé à avancer, et nous avons également volé vers Kyiv depuis cet aérodrome. Il est situé de telle manière qu'en principe, nous pouvons voler vers toutes ces régions.
- Comment avez-vous réussi à repousser ces premières attaques?
- Premièrement, ils ont volé tranquillement (je ne sais pas ce qu'on leur a dit là-bas que nous n'avions pas de défense aérienne, puis on leur a dit que tous nos aérodromes ne sont plus prêts au combat, c'est-à-dire que nous n'avons plus l'aviation, ils peuvent travailler en toute sécurité). Mais il s'est avéré que nous avions aussi une défense anti-aérienne qui repoussait les attaques et abattu plusieurs avions russes. Leurs pilotes ne comprenaient pas ce qui se passait, et en conséquence nous avions une capacité de survie. Le facteur principal était que nous étions motivés, car c'est en nous au niveau génétique, et nous protégeons simplement les nôtres. Ils n'avaient pas une telle motivation, on leur a simplement donné un ordre : par ici, par-là, il faut leur tirer dessus, les bombarder. Alors que nous étions motivés, car nous savions que nos familles nous attendaient, que nous devions les protéger à tout prix et donc, nous devions aller jusqu'au bout.
- Oui, et en même temps il y avait moins d'armes qu'aujourd'hui ?
- Oui, c'était bien moins, nous n'avions pas d'armes occidentales, avec lesquelles nos partenaires nous aident, mais, écoutez, je dis qu'il y avait de la motivation, il y avait beaucoup de résistance.
- Nous savons que vous avez participé à la libération de la région de Kherson et que vous avez notamment été les premiers à utiliser des bombes aériennes?
- Oui.
- Parlez-nous de ça.
- L'opération Kherson, disons, a été très médiatisée dans le monde entier, quand il y avait beaucoup d'avions, nous avons utilisé des missiles anti-radar HARM, avec beaucoup de succès, ils ne s'attendaient pas à cela de notre part. Et encore une fois, nous ne nous attendions pas à ce que les partenaires occidentaux adaptent leurs armes aux avions soviétiques à ce point. Et lors d’une opération suivante, j'ai utilisé des bombes aériennes guidées, c'était en direction de l’est, puis les résultats ont montré que la bombe a atterri là où elle était nécessaire et détruit du matériel et du personnel ennemis.
- Parlez-nous du processus, comment se déroule-t-il? Vous devez rester dans la zone touchée par l'ennemi depuis un certain temps ?
- C'est exact. On nous confie une tâche, indique précisément dans quelle zone, quand et à partir de quelle hauteur nous devons utiliser des armes, larguer une bombe, et puis vous y réfléchissez déjà comment faire, regardez les zones dangereuses, les risques, en plus vous êtes accompagnés par un autre avion qui vous « couvre ».
Au moment où vous devez larguer une bombe, avant même cette manœuvre, vous vous retrouvez dans la zone de risque et à ce moment-là c'est très effrayant, car à tout moment on vous dit depuis le sol qu'un missile est sur le point d'être lancé contre votre avion et vous devez manœuvrer. C'est comme si vous larguiez une bombe, mais à ce moment-là, on vous dit : non, c'est votre tour, vous devez vous détourner, vous éloigner, ou peut-être retourner à l'aérodrome. L'opération ne s'est pas bien passée, vous n'avez pas largué cette bombe, vous revenez, puis vous faites le plein et vous recommencez, c'est arrivé et ainsi de suite. Et il existe de telles opérations qui, dès votre première arrivée, vous larguez calmement la bombe et retournez à l'aérodrome. Ensuite, on vous montre les résultats et vous voyez que la bombe a vraiment touché la cible.
- Lorsque vous êtes informé que vous êtes maintenant à portée de tir et que l'ennemi vous vise, comment faites-vous pour vous retenir et faire votre travail?
- Quand tu entends que l’ennemi te vise, tu ressens d'abord de la peur, de l'adrénaline, c'est un phénomène normal.
- À chaque fois?
- À chaque fois, parce que vous comprenez que l’on vous tire dessus et vous connaissez les caractéristiques de ces missiles ou les armes qu'ils peuvent utiliser, ils sont assez précis, maniables et, malheureusement, les Russes ont assez de missiles pour nous abattre. Et il suffit de vaincre cette adrénaline, cette peur et d'effectuer la manœuvre la tête froide pour que ce missile ou tout projectile qui vole vers vous ne vous frappe tout simplement pas. Et cela arrive : vous vous regardez dans le miroir, vous pensez que vous le verrez maintenant, mais vous réalisez qu'en réalité cela peut prendre une fraction de seconde - et c'est tout, un missile te touchera.
Et encore une chose : lorsque nous travaillions, par exemple, avec nos armes, nous savions au moins comment ça se passait. Alors que lorsque nous avons utilisé pour la première fois les armes occidentales, nous avions des doutes : si jamais un missile ne part pas ou s’il explose sous une aile de l’avion. Mais maintenant nous voyons que les partenaires occidentaux font tout pour que cela fonctionne exactement, maintenant c'est plus calme, le plus difficile était dans ces premiers temps.
- Comment cette première expérience a-t-elle ensuite évaluée?
- La guerre est toujours un changement de tactique, un changement de stratégie, ils apprennent de nous, nous apprenons d'eux. Ils changent souvent de tactique, et nous changeons de tactique parce que nous obtenons des armes plus récentes, c'est une tactique d'application, une stratégie différente. Et ils commencent à s’adapter en conséquence pour s’opposer à nous. Par conséquent, lorsque nous l'avons utilisé pour la première fois, c'était inattendu pour eux, car ils ne savent pas ce que nous avons et ce qu'il peut faire et donc, c’était très efficace. Et puis vous commencez simplement à trouver d'autres stratégies d'une manière ou d'une autre, afin d'atteindre à nouveau la cible et de ne pas être touché et de rentrer tranquillement.
- Comment évaluez-vous les pilotes russes d'un point de vue professionnel, car beaucoup d'entre eux ont étudié dans nos écoles militaires, parce qu'ils étaient considérés comme l'un des meilleurs, et maintenant ils se battent de facto contre leurs camarades d’école?
- Commençons par l'élémentaire. En 2014, lorsque la guerre a éclaté, j'étais cadet et l’on a proposé à ceux de mes camarades qui étaient originaires de Crimée de rentrer chez eux. C'était inattendu pour nous et de nombreuses personnes sont retournées en Crimée et y sont également devenues pilotes militaires. Et si la première année nous dormions dans la même caserne, maintenant ils se battent contre nous. Et quand ils disent qu’ils ne savent pas qu’ils bombardent la population civile, croyez-moi, ce n'est pas vrai. Quand un pilote se prépare au vol, il sait très bien sur quel objet il allait larguer une bombe.
- Vous êtes actuellement le commandant de l'escadron. Quel a été votre parcours de pilote à commandant, et quand exactement avez-vous pris le commandement ?
- Avant l'invasion à grande échelle, j'étais commandant adjoint de l'escadron, et lorsque l'invasion à grande échelle a commencé, il y avait déjà eu beaucoup de victimes, malheureusement, et la haute direction a vu en moi que j'étais un commandant d'escadron potentiel. Cela fait un an que je suis responsable de l'escadron.
- Comment avez-vous perçu cette mission, à quels défis avez-vous été confronté en tant que commandant ?
- D'abord la responsabilité, car vous êtes comparés à de jeunes pilotes qui viennent d'arriver. Chaque commandant doit également être sur le champ de bataille, et je comprends cela, pour ne laisser tomber personne, pour qu'on ne dise pas de vous que vous ne combattez pas, ou quelque chose de similaire.
En ce qui concerne le commandement, je ferais ici plus attention au fait que lorsque vous êtes nommé responsable, il existe un tel concept, le responsable sur un aérodrome opérationnel où se déroulent les opérations de combat. Et ce responsable, disons, du groupe, décide qui participera à tel ou tel vol de combat. Autrement dit, une décision importante et correcte doit être prise ici, qui partira, qui est vraiment prêt maintenant et qui a déjà effectué un vol de combat aujourd'hui, par exemple, et a besoin de se reposer. Ce sont des points importants dans le travail du commandant. Avant, on me disait simplement : allez-vous préparer, vous allez participer à un combat, mais maintenant c’est moi qui doit prendre une décision, et il est très important de prendre la bonne décision.
- Qu'est-ce qui vous guide dans la prise de cette décision ?
- Je ne sais pas, probablement par intuition, tout vient avec le temps. C'est juste que plus vous avez de vols de combat, de tâches de combat, vous analysez et vous pouvez voir d'une personne si elle est prête maintenant, ou s'il vaut mieux qu'elle se repose et quelqu’un d’autre vole à sa place aujourd’hui.
- Combien de vols de combat avez-vous effectués ?
- Actuellement, j'ai plus de 200 vols de combat.
- C'est-à-dire qu'il pourrait y en avoir plusieurs par jour ?
- Oui, ici aussi, de nombreux facteurs influencent, mais en été quand il fait beau, nous avons plus de travail. En automne ou en hiver, alors, vous comprenez vous-même, c'est du brouillard, de la pluie et du mauvais temps, nous ne pouvons pas faire le travail parce que le temps est mauvais dans telle ou telle région, et c'est dangereux, on ne voit tout simplement pas le sol, donc l’intensité diminue. Et l’été, quand il y a beaucoup de travail, généralement un vol par jour, deux, voire trois, je dirai d’après mon expérience, c’est très difficile. Vous pouvez normalement supporter deux vols supplémentaires, mais s’il en a trois ou quatre, vous devenez mentalement fatigué, car chaque vol est un effort physique et moral pour le corps, et c'est difficile.
- En fait, concernant la pression. Il est clair que tout le monde ne peut pas supporter ne serait-ce qu'un seul vol, mais comment faites-vous pour supporter cette pression?
- Dans les premiers jours (de l'invasion à grande échelle, - ndlr), on n'en parlait pas du tout, il aurait pu y avoir quatre, cinq ou six vols. Nous avons compris qu’il s’agit d’une invasion à grande échelle, d’une attaque à grande échelle contre nous, et que nous devons nous défendre. Là tu ne penses ni au sommeil ni à la nourriture, tu comprends qu'il faut se battre. Maintenant, quand cela devient plus ou moins stable, disons que vous pouvez effectuer deux vols supplémentaires. Si nécessaire, bien entendu, nous ne refusons jamais. On nous demande toujours : êtes-vous prêt à repartir ? Je demande toujours à mes subordonnés s'ils sont prêts à repartir, car nos confrères des forces terrestres demandent de venir leur donner un coup de main. Et nous comprenons que nous devons y apporter notre aide, car sans nous, ils ne peuvent pas s'en sortir ni dormir paisiblement la nuit. Ensuite, nous prenons une décision et effectuons le troisième ou le quatrième vol. Il faut juste se reposer après.
- Chaque vol est une surprise pour vous, comment cela se passera-t-il ? Est-il encore possible de calculer ?
- Eh bien, vous ne calculerez pas tout dans les moindres détails, vous pouvez réfléchir comment agirez dans telle ou telle situation, mais il y a des facteurs très différents. Des fois, on nous dit qu’une telle ou telle zone est calme, il n’y a pas de risque, mais en fait, on s’est fait attaquer. Le plus important c'est votre humeur avant un vol.
- Parlez-nous de votre avion, si vous en avez un. Devez-vous effectuer des départs sur des avions différents ?
- Au début il y en avait un, et maintenant on passe d'un avion à un autre, et c'est normal?
- Concernant le nombre de pilotes. Y en a-t-il assez ?
- Il est beaucoup plus facile de former un conducteur de char, un mitrailleur ou un artilleur que d'apprendre à voler. Parce que cela demande vraiment beaucoup de travail, beaucoup de temps, ce que nous n'avons malheureusement pas, car la guerre continue et l'ennemi avance, nous avons donc besoin de personnel.
- Qu'en est-il de l'adaptation et de l'intégration des armes occidentales en Ukraine et, par conséquent, de l'infrastructure correspondante? Comment évaluer-vous ce processus ?
- Je dirai seulement de mon point de vue : ce que l'on voit, ce que j'ai dit plus tôt, à quel point ils adaptent leurs armes à nos avions. Et nous voyons que les bombes touchent la cible, elles volent également bien vers la cible. Autrement dit, ils font de gros efforts et nous pouvons voir qu’il y a un résultat.
- Vous avez une famille, une femme et une fille. Quel soutien ressentez-vous de leur part, comment vous soutiennent-ils ?
- En fait, on ressent vraiment le soutien, surtout lorsque l'on est en rotation sur l'aérodrome opérationnel. Nous avons une tradition : j'appelle toujours ma femme avant et après le vol pour qu'elle entende ma voix avant, comme elle dit, c'est plus difficile à entendre après, elle attend que j'appelle calmement, pour dire que je suis au sol, tout va bien. Aujourd'hui, c'est le 21ème siècle, tu peux voir via téléphone ta fille grandir et tu te rends compte pourquoi, pour qui tu te bats.
- Comment voyez-vous l'avenir de l'aviation ukrainienne et le développement du système de drones peut-il remplacer les pilotes ?
- En fait, malheureusement, nous sommes encore très loin de faire voler des drones sans pilotes, comme dans tous les pays du monde... et on voit que le développement n'en est pas encore là. L'avenir de l'aviation ukrainienne... Je vois que nous avons besoin d'autant de nouveaux équipements occidentaux que possible, de plus de pilotes pour avoir un grand avantage dans les airs - c'est sûr, c'est la seule chose dont nous avons besoin maintenant.
Diana Slavinska
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