La participation du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, à la réunion du Sommet des BRICS qui s’est tenue à Kazan, en Russie, a suscité de vives critiques de la part de l'Ukraine et de ses alliés. Les représentants du secrétaire général expliquent sa visite par « l'importance » de l'événement, puisque les pays de cette organisation représentent la moitié de la population de la Terre. En outre, ils affirment qu’António Guterres aurait exprimé sa position concernant l’agression russe lors d’une conversation avec Poutine. Est-ce que le voyage du secrétaire général de l’ONU au pays agresseur et sa rencontre avec le criminel de guerre étaient-ils légitimes ? Nous en parlons avec Serhiy Kyslytsya, représentant permanent de l'Ukraine auprès des Nations unies.
-Monsieur Kyslytsya, il y a beaucoup de déclarations et de commentaires - ici à New York et en Ukraine - concernant les aspects moraux, juridiques et politiques de la décision du secrétaire général de l'ONU de se rendre en Russie à l'invitation du criminel de guerre Poutine pour participer au Sommet des BRICS. Existe-t-il des règles à l'ONU qui réglementeraient cette question ?
- Oui, cette question ne se pose pas pour la première fois. Il y a plus de 20 ans, l'ONU a conclu un accord sur les relations avec la Cour pénale internationale ; le 13 septembre 2004, l'Assemblée générale l'a approuvé. Conformément aux obligations générales énoncées dans cet accord, le Secrétaire général de l'ONU a publié en 2013 des lignes directrices régissant toute rencontre potentielle entre un représentant du Secrétariat de l'ONU et une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI.
Ces lignes directrices ont été publiées dans une lettre conjointe du Secrétaire général au Président de l'Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité de l'ONU en date du 3 avril 2013.
Ce document stipule : « Il peut arriver que des individus contre lesquels la CPI a émis un mandat d'arrêt cherchent délibérément à rencontrer des responsables de l'ONU afin de démontrer leur mépris pour la CPI et de tenter de saper son autorité. Bien que l’ONU et la Cour pénale internationale soient des organisations distinctes dotées de leurs propres mandats, les deux organisations partagent l’objectif commun de mettre fin à l’impunité pour les crimes les plus graves qui préoccupent la communauté internationale. En outre, conformément à l'accord sur les relations entre l'ONU et la CPI, l'ONU est tenue de s'abstenir de toute action susceptible d'interférer avec les activités de la Cour et de ses différents organes, y compris le Procureur, ou de porter atteinte à l'autorité de son décisions ».
Comme nous pouvons le constater, c’est exactement ainsi que Poutine s’est comporté lorsqu’il a invité le secrétaire général de l’ONU à se rendre en Russie pour participer au sommet des BRICS.
La règle générale est qu'il ne devrait y avoir aucune rencontre entre des responsables de l'ONU et des personnes à l'encontre de laquelle un mandat d’arrêt de la CPI a été délivré.
Aucune réunion solennelle ne doit être organisée avec de telles personnes et les visites ordinaires de courtoisie doivent être évitées. Il en va de même pour les réceptions, les séances photos, la participation à des célébrations à l'occasion des fêtes nationales, etc.
Selon ces lignes directrices, le Secrétaire général et ses adjoints peuvent, de temps à autre, entrer en contact direct avec une telle personne uniquement « dans le but de résoudre des questions fondamentales » affectant la capacité de l'ONU et de ses diverses divisions, programmes et fonds à exercer leur mandat dans le pays concerné, y compris sur les questions vitales de sécurité.
Afin de mettre en œuvre des mesures importantes conformément au mandat de l'ONU, il n'est possible d'interagir directement avec la personne à l’encontre de laquelle la CPI a émis un mandat d'arrêt que dans la mesure nécessaire.
- Mais le secrétaire général de l'ONU peut-il rencontrer les dirigeants d'organisations internationales, comme le GUAM (L'Organisation pour la démocratie et le développement, regroupant la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie) ou l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai) ?
- L'Assemblée générale des Nations Unies a adopté des résolutions pertinentes sur la coopération de l'ONU avec GUAM, l'OCS et d'autres organisations régionales. Mais à ma connaissance, il n’existe pas de documents sur la coopération entre l'ONU et les BRICS.
Par exemple, s'agissant de l'OCS, la résolution du 1er septembre 2023 précise : L'Assemblée générale « a souligné l'importance de renforcer le dialogue, la coopération et la coordination entre le système des Nations Unies et l'OCS et a invité le Secrétaire général de l'ONU à continuer de tenir des réunions de consultations régulières avec le Secrétaire général de l'OCS à cette fin, en utilisant les forums et formats interinstitutionnels existants ».
Quant au GUAM, selon la résolution du 21 novembre 2022, l'Assemblée générale « a invité le Secrétaire général de l'ONU à tenir des réunions de consultations régulières avec le Secrétaire général du GUAM, en utilisant à cette fin les forums et formats interorganisationnels appropriés, y compris les consultations annuelles entre le secrétaire général de l'ONU et les chefs d'organisations régionales ».
En revanche, ni le Conseil de sécurité ni l'Assemblée générale de l'ONU n'ont chargé le secrétaire général de l'ONU d'interagir avec les BRICS, et encore moins d'accepter une invitation d'une personne à l’encontre de laquelle la CPI a émis un mandat d'arrêt.
Les lignes directrices indiquent clairement que même s'il existait des circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire lorsqu'un contact avec une telle personne est absolument nécessaire, il convient de tenter, si possible, d'entrer en contact avec des représentants de ce groupe ou parti qui ne font pas l'objet d’un mandat d'arrêt émis par la CPI.
- Le bureau du Secrétaire général a-t-il démontré la nécessité d'une rencontre avec un criminel de guerre ?
- Nous attendons des informations claires de l'ONU sur les « questions fondamentales » qui devraient être résolues lors du sommet des BRICS avec la personne à l’encontre de laquelle la CPI a émis un mandat d'arrêt. Permettez-moi de le répéter : ce sont des questions qui « affectent la capacité de l'ONU et de ses différentes divisions, programmes et fonds à remplir leurs mandats dans le pays concerné, y compris sur des questions de sécurité vitales », comme indiqué dans les lignes directrices.
D’après ce qu’a dit jusqu’à présent le porte-parole adjoint du secrétaire général, je n’ai pas entendu de réponse à cette question. Il a répondu aux questions des journalistes que le secrétaire général participerait au sommet des BRICS pour tenir une série de réunions bilatérales avec les dirigeants présents au sommet, notamment dans le but de promouvoir les questions liées au rétablissement de la sécurité de la navigation dans la mer Noire. Comme vous le savez, l'Initiative céréalière de la mer Noire ne fonctionne plus depuis plus d'un an.
Selon le porte-parole adjoint du secrétaire général, le secrétaire général de l’ONU a tenu quatre réunions bilatérales à Kazan, dont deux avec les dictateurs - Poutine et Loukachenko.
- Et si le secrétaire général souhaite rencontrer une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI, existe-t-il une procédure pour en informer la Cour elle-même ? (D'ailleurs, le jour où nous avons interviewé Serhiy Kyslytsya, le 25 octobre, l'Ukraine a remis au secrétaire général de l'ONU sa ratification du Statut de Rome de la CPI).
- Oui, le manuel de 2016 sur la coopération avec la Cour pénale internationale décrit la procédure à suivre pour informer la CPI des contacts importants. Conformément à la procédure établie, le bureau des affaires juridiques de l'ONU a dû informer au préalable par lettre le procureur de la CPI et le président de l'Assemblée des États parties au Statut de Rome de son intention de rencontrer la personne à l’encontre de laquelle le mandat d'arrêt a été émis et d'expliquer les raisons pour lesquelles il est considéré qu'une telle réunion est nécessaire. Il sera intéressant de voir cette lettre.
Volodymyr Iltchenko, New York
Volodymyr Iltchenko, New York