Luc Jacobs, Ambassadeur de Belgique en Ukraine
La nécessité absolue de garanties de sécurité fiables, telle est, pour la Belgique, la leçon des deux guerres mondiales.
19.03.2025 10:45

L’ambassadeur du Royaume de Belgique en Ukraine, Luc Jacobs, s’est rendu dans les studios d’Ukrinform. Il s'agit de la deuxième mission d'ambassadeur en Ukraine de ce diplomate belge expérimenté. Il a dirigé l'ambassade de 2014 à 2018 et a vu de ses propres yeux le début de l'agression russe contre notre pays. Au cours de l'entretien qu’il nous a accordé, nous avons pu discuter de la recherche d'une paix durable et fiable, de la préparation de l'Europe à de nouveaux défis et de l'assistance militaire à l'Ukraine, y compris du retard dans la livraison des avions belges F-16. M. Jacobs a également apporté des éclaircissements importants sur la différence entre les avoirs « immobilisés » et « gelés » de l’État agresseur et les possibilités de leur utilisation dans l’intérêt de l’Ukraine; il a souligné l’importance de poursuivre un travail systématique pour traduire en justice la Fédération de Russie pour crime d’agression, et a parlé des efforts du gouvernement belge et du secteur civil pour contribuer à la reconstruction de l’Ukraine. Nous avons discuté également de l’impact néfaste de la désinformation russe sur la conscience du public européen et avons réfléchi aux parallèles entre la situation dans laquelle se trouve l’Ukraine, qui recherche des garanties de sécurité fiables, et l’expérience historique de la Belgique, qui a réalisé à un moment donné que la politique de neutralité, comme il s’est avéré, n’offre pas de telles garanties.

LA BELGIQUE EST PRÊTE À PARTICIPER AU PROCESSUS DE PAIX EN UKRAINE

- Lors de la récente rencontre à Bruxelles avec le Premier ministre belge Bart de Wever, le président ukrainien Volodymyr Zelensky lui a parlé de la préparation d'un plan européen pour parvenir à une paix juste et durable et l'a invité à participer aux travaux correspondants. La Belgique est-elle prête à rejoindre ce processus ?

- Je pense qu'il y a eu une merveilleuse rencontre à Bruxelles entre notre Premier ministre et votre Président. Il s'agissait de leur première rencontre en face à face depuis la nomination du nouveau gouvernement belge, et avant cela, ils s'étaient déjà parlé au téléphone. Pour notre Premier ministre, ce fut l'occasion de confirmer le soutien des nouvelles autorités belges au gouvernement ukrainien pour renforcer la position de l'Ukraine à la table des négociations et parvenir à une paix juste et durable, étant entendu que des garanties de sécurité fiables sont le seul gage possible. La Belgique est tout à fait prête, comme l’a déclaré notre Premier ministre, à rejoindre le processus de paix avec ses partenaires européens.

Mais la Belgique devra également remplir ses devoirs en matière d’augmentation des dépenses de défense. C’est certainement sur ce point que le gouvernement se concentre actuellement. Nous devons accélérer considérablement les dépenses de défense en Belgique pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB.

En ce qui concerne l'envoi d'un contingent militaire en Ukraine, notre Premier ministre a déclaré aux médias que la Belgique voyait certainement la chose d'un œil positif, mais restait prudente à ce stade. De telles actions nécessitent un accord de paix solide et juste, un mandat clair et des circonstances qui nous permettent d’affirmer qu’une telle présence militaire servira véritablement son objectif.

L'EUROPE EST PRÊTE À RENFORCER SA PROPRE SÉCURITÉ ET À SOUTENIR L'UKRAINE

- Avez-vous le sentiment que le simple fait que les États-Unis aient changé d’approche à l’égard de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et de la question de la protection de l’Europe contre les menaces extérieures a créé une incitation sans précédent pour l’Union européenne à reconsidérer sa propre politique de sécurité et de défense ?

- Vous avez raison dans votre analyse selon laquelle les signaux envoyés récemment par la Maison Blanche ont véritablement consolidé la position européenne sur les défis et les menaces, ainsi que sur la manière d’y faire face. Je ne dirais pas que nous partons de zéro, car il y a déjà eu beaucoup de réflexions, de recherches et de discussions politiques pour comprendre comment l’Europe peut gagner en autonomie dans ses propres capacités de défense et de dissuasion. Mais, comme vous l’avez dit, ce que nous avons vu au cours des dernières semaines a certainement été un signal d’alarme.

Pour moi, le moment clé est la réunion extraordinaire du Conseil européen qui s'est tenue à Bruxelles le 6 mars, et je pense que l'on peut dire sans se tromper que les dirigeants européens ont vraiment fait preuve d'unité, de détermination et de concentration sur la manière de rendre l'Europe plus autonome, plus indépendante en termes de garantie de sa propre sécurité, et aussi réfléchir à ce que nous pouvons faire davantage pour soutenir l'Ukraine.

Cela a été un moment très fort. Je pense que dans l’ensemble, nous sommes parvenus à un très large consensus. Mais c’est certainement un point sur lequel les dirigeants continueront de travailler, un point qui devra être concrétisé lors des réunions ministérielles de l’UE. Nous disposons désormais d’une boussole, d’une feuille de route et d’une vision claire du financement. L’Europe a donc sans aucun doute montré qu’elle était prête.

LA BELGIQUE RÉMPLIT SON RÔLE DANS LA COALITION F-16

- Nous avons tous entendu l’information selon laquelle les F-16 promis par la Belgique ne peuvent pas encore être livrés comme prévu en raison de circonstances objectives, notamment le fait que les F-35 des États-Unis ne sont pas encore arrivés en Belgique, de sorte que l'espace aérien belge ne sera pas sécurisé sans un certain nombre d'avions en stock. Voyez-vous des moyens d’influencer la situation, de changer les faits objectifs concernant cette livraison ?

- Tout d’abord, la Belgique remplit son obligation de fournir à l’Ukraine 30 avions F-16. Cela fait partie de l’accord de sécurité bilatéral signé avec l’Ukraine. La Belgique fait partie de la coalition F-16, et dans ce format, il existe une certaine division du travail. Ceux qui étaient déjà en mesure de fournir des avions l’ont fait. L'objectif crucial de la Belgique au sein de la Coalition est actuellement de participer à la formation des pilotes ukrainiens, et nous fournissons déjà des F-16 pour la formation des pilotes ukrainiens et du personnel au sol. Nous fournissons également des pièces de rechange. Par ailleurs, la maintenance des avions est un domaine dans lequel la Belgique apporte actuellement une contribution très concrète et très significative.

Il est important de comprendre que les avions aptes au combat qui ont déjà été livrés à l’Ukraine doivent le rester. Et cela nécessite des pilotes formés, du personnel au sol formé, des pièces de rechange et de la maintenance, et c'est cette partie importante du programme dont la Belgique s'occupe. Et il y aura aussi des avions plus tard.

Le Premier ministre a expliqué que nous serons déjà en mesure de fournir des F-16 cette année « en pièces détachées », et il y a un grand espoir que nous serons en mesure de livrer des avions prêts au combat en 2026. Il convient également de rappeler que l’objectif initial de l’accord bilatéral de sécurité était 2028, nous sommes donc déjà bien en avance sur le calendrier.

LES AVOIRS GELÉS RUSSES GÉNÈRENT DE L’ARGENT ET POURRAIENT SERVIR DE LEVIER DANS LES NÉGOCIATIONS SUR LES REPARATIONS

- La Belgique détient la plus grande part des avoirs gelés de l’État agresseur. Nous avons entendu que des dizaines de législateurs ont appelé le roi Philippe de Belgique à soutenir publiquement la saisie de 250 milliards d'euros d'actifs russes en soutien à l'Ukraine. Dans quelle mesure cette idée est-elle soutenue par l’opinion publique et le gouvernement belge ?

- Je dois ici apporter une précision intéressante. Je ne vous ennuierai pas avec une longue explication des termes « actifs gelés » et « immobilisés ». Mais c’est une distinction très importante, car la majeure partie des actifs en Belgique sont des actifs immobilisés. Autrement dit, les transactions liées à la Banque centrale de la Fédération de Russie ont été suspendues. La base juridique de l’immobilisation est différente de celle du gel des avoirs privés.

Il serait faux de dire que les actifs immobilisés restent simplement immobiles. Ils génèrent de l’argent, des intérêts. Et ces intérêts sont déjà utilisés pour permettre à l’Ukraine de rembourser les prêts accordés par le Groupe des Sept. Ces prêts aident l’Ukraine à soutenir son économie et ses efforts de guerre.

En confisquant cet argent, nous allons en réalité « tuer la poule aux œufs d’or », privant l’Ukraine d’une source stable de revenus. D’ailleurs, ce n’est pas seulement l’opinion de la Belgique, mais aussi d’autres pays dans lesquels d’importants actifs russes sont concentrés. En outre, il est extrêmement important de préserver ces actifs comme levier d’influence sur la Fédération de Russie dans les futures négociations de paix, lorsqu’il s’agira d’indemniser les dommages causés à l’Ukraine.

Dans le même temps, la confiscation peut comporter de graves risques en termes de stabilité financière, de risques juridiques, etc. Autrement dit, si la Belgique et d’autres pays de l’UE suivent cette voie, ils pourraient être victimes de poursuites judiciaires potentielles.

- Cela signifie qu’il faut traire cette vache au lieu de l’abattre?

-C’est bien ça.

OUTRE LES SANCTIONS, LA RESPONSABILITÉ DE L'AGRESSEUR EST ÉGALEMENT IMPORTANTE

- Dans une interview accordée à notre agence il y a plus de six ans, lors de votre premier mandat ici en tant qu’ambassadeur, alors que la guerre était déjà en cours, vous avez conseillé à l’Ukraine de ne pas se concentrer sur un seul outil : les sanctions. Vous avez dit que les sanctions ne sont pas le seul outil qui aide la communauté internationale à maintenir la loi et l’ordre. Du point de vue actuel, croyez-vous toujours que cela est vrai ? Quels autres outils d’influence sur l’État agresseur considérez-vous comme efficaces ?

- Je maintiens toujours cette opinion. Les sanctions sont absolument essentielles et, compte tenu de la gravité des dommages infligés à l’Ukraine par cette invasion à grande échelle, elles jouent un rôle encore plus important. Nous en sommes déjà au stade du 16e paquet de sanctions de l’UE, qui est beaucoup plus complet qu’il y a huit ans. Mais il faut les adapter en permanence, car il faut lutter contre le contournement des sanctions, etc. C'est tout un mécanisme.

En même temps, je suis plus que jamais convaincu qu’il existe d’autres moyens de faire pression. Par exemple, ces dernières semaines, nous avons peu entendu parler de la responsabilité de l’agresseur, de la prévention de l’impunité, des crimes de guerre commis ou de la manière de compenser les énormes dégâts et destructions infligés à l’Ukraine. En collaboration avec nos partenaires européens et autres, ainsi qu’avec l’Ukraine, nous continuons à travailler à la création d’un Tribunal spécial qui examinera le crime d’agression, et nous continuons également à travailler sur le Registre des dommages. Ainsi, la dimension de responsabilité et de prévention de l’encouragement de l’agresseur est également très importante.

LES ENTREPRISES BELGES EN UKRAINE SONT DES CONTRIBUABLES MODÈLES

- Tant que la pression économique sur la Russie persiste, il est très important pour l'Ukraine que le plus grand nombre possible d'entreprises internationales maintiennent leur présence en Ukraine, contribuant ainsi au développement de notre économie, payant des impôts, investissant et maintenant notre économie à flot. Cela s’ajoute à l’aide macrofinancière évidente des partenaires internationaux. Peut-être pouvez-vous nous parler des entreprises belges qui sont restées en Ukraine malgré l’invasion à grande échelle de 2022 ?

- Peu de temps après mon retour en Ukraine en août, j’ai renoué mes liens avec la communauté d’affaires belge en Ukraine. Je les ai également réunis pour qu'ils puissent renouer les uns avec les autres. Je voulais aussi que les représentants du monde des affaires belges racontent leur expérience, je voulais savoir ce qu’ils avaient vécu.

J'ai rassemblé beaucoup d’histoires différentes. J’ai entendu parler d’entreprises qui ont vraiment eu du mal en raison de la destruction de leur potentiel. J’ai entendu l’extraordinaire persévérance et la résilience dont font preuve ceux qui travaillent en première ligne, tout en accordant la priorité à la sécurité des travailleurs. J'ai entendu parler d'entreprises qui, bien que ne travaillant pas dans le secteur de la défense, affichent une croissance de leur production et un doublement de leur chiffre d'affaires.

Comme vous l’avez souligné, elles contribuent à la vie économique de l’Ukraine et paient des impôts. L’autre jour, j’ai entendu le chef de l’administration fiscale déclarer que les entreprises belges font preuve d’un niveau exemplaire de respect des lois fiscales. Et je vois le rôle important de ces entreprises dans les secteurs dans lesquels elles opèrent. Il s’agit de chantiers immobiliers, d’agriculture, de matériaux de construction, de technologies de l’information les plus modernes… Elles jouent un rôle important dans la reconstruction et la renaissance de l’Ukraine.

La Belgique dispose d’une industrie de défense puissante, et des représentants d’entreprises leaders, nos fleurons, viennent en Ukraine, établissent des contacts avec leurs collègues et, dans certains cas, sont déjà à un stade assez avancé de préparation d’accords de production conjointe. Il s’agit même de créer des joint-ventures conçues pour un horizon temporel plus long que la période de guerre. Il y a donc une dynamique vivante dans ce domaine. Et en tant qu’ambassadeur, je ne peux qu’applaudir et encourager ces efforts.

L’industrie de défense ukrainienne a prouvé qu’elle est extrêmement tenace et résiliente, qu’elle est encore sous-utilisée, qu’elle développe des technologies avancées et qu’elle se révèle véritablement être un partenaire précieux pour nous. Nous avons beaucoup à apprendre de l’Ukraine et nous pouvons également partager notre expérience avec vous.

DE NOMBREUX CONVOIS HUMANITAIRES SONT ENVOYÉS EN UKRAINE PAR DES INITIATIVES CITOYENNES ELLES-MÊMES

- Pourriez-vous nous parler des mesures, des plans et des intentions de la Belgique concernant la reconstruction de l’Ukraine.

- La Belgique est déjà présente et active dans ce secteur. Il s’agit d’un programme de quatre ans d’une valeur de 150 millions d’euros, notre contribution à la reconstruction et au redressement de l’Ukraine. La zone géographique ciblée par ce programme est les régions de Kyiv et de Tchernihiv. En termes de secteurs, l’attention est portée principalement sur les soins de santé et la protection sociale, l’éducation et le développement professionnel. L’objectif principal est de reconstruire le pays, de le rendre meilleur et également plus respectueux de l’environnement dans le domaine de l’efficacité énergétique. Ce programme est mis en œuvre par notre agence ENABEL. Ils travaillent ici depuis l’été dernier et les premiers appels d’offres ont déjà été annoncés. Les travaux de construction d’abris et de fourniture de générateurs ont commencé dans le cadre de la décentralisation de l’approvisionnement énergétique. Des forums de formation professionnelle sont organisés. Des contacts sont établis avec différentes parties prenantes. C'est donc une machine bien huilée qui fonctionne déjà.

À titre d’exemple, j’étais à Tchernihiv pour voir de mes propres yeux comment tout se passe. Je pense que c’est un outil fantastique pour nos deux nations pour reconstruire ce pays et le rendre encore meilleur, ensemble.

- Oui, à ce propos, j'ai vu l’information selon laquelle vous vous étiez rendu à Tchernihiv où vous aviez même donné votre sang dans un hôpital local avec M. Dirk Despres, représentant permanent d'ENABEL en Ukraine.

- C'est un geste plutôt modeste comparé à l'énorme solidarité et au soutien concret que les Belges témoignent à l'Ukraine. Nous voyons de nombreux convois humanitaires organisés non pas par l’État, mais par nos compatriotes dans le cadre d’initiatives citoyennes. Nous parlons de livraison de matériel médical, de médicaments, d'ambulances, de SUV à quatre roues motrices...

Je constate une autre tendance, à savoir le nombre d’accords visant à créer des villes et des communautés jumelées. Il s’agit donc d’une coopération très concrète entre les collectivités locales. Et maintenant, les citoyens les contactent directement, leur demandant comment ils peuvent les aider. Nous constatons un intérêt croissant pour les connexions au niveau local. Il y a du soutien, de la solidarité et de l’empathie, et ce que font les organisations communautaires et la société civile est vraiment impressionnant.

LA DÉSINFORMATION RUSSE SUR L'HISTOIRE NOUS EMPOISONNE DEPUIS DES DÉCENNIES, ET NOUS N’EN ÉTIONS PAS CONSCIENTS

- Je suppose que dans l’espace médiatique belge, le sujet de la guerre en Ukraine est assez important et que les gens comprennent généralement ce qui se passe. Mais je comprends néanmoins que, comme c’est probablement le cas dans toute l’Europe, il y a de la désinformation russe, de la manipulation, quel que soit le nom qu’on lui donne. Comment évaluez-vous la situation actuelle de la désinformation dans votre pays, comment peut-on et doit-on la combattre ?

- Oui, je crois que le problème ne réside pas seulement dans un flux constant de désinformation qu’il faut démystifier immédiatement et cela exige une grande vigilance. Cela nécessite également un contre-récit très bien argumenté.

Mais le plus grand danger, à mon avis, réside dans la désinformation qui empoisonne nos consciences depuis trois décennies. C'est très difficile de sortir tout cela de sa tête. Depuis des décennies, un flot de désinformation s’abat sur nous, et nous ne nous rendons même pas compte que nous absorbons des récits russes. Le Belge moyen n’est pas très familier avec l’histoire de l’Ukraine, et même moi, j’apprends chaque jour de nouveaux faits de l’histoire ukrainienne. Si l’on compare cela au flux constant du narratif russo-centré sur l’histoire de cette partie de l’Europe, cela a vraiment causé beaucoup de dommages dans notre esprit.

Nous devrions vraiment faire un effort pour enquêter un peu plus en profondeur sur le type d’informations qui nous sont proposées. Nous devons diversifier les sources d’information, comparer les sources et rechercher parmi elles celles qui sont fiables, mais cela exige une certaine vivacité d’esprit, ce qui, soit dit en passant, est très utile à notre époque. J’espère également que les écoles apprendront à la nouvelle génération à penser de manière critique, qu’elle ne doit pas se limiter à ses bulles d’information, mais plutôt avoir l’esprit ouvert.

FAIRE PARTIE D'ALLIANCES EST LE SEUL CHEMIN VERS UNE VÉRITABLE SÉCURITÉ

- Les Ukrainiens voient de nombreux parallèles entre ce qui se passe actuellement dans et autour de notre pays, autour de la guerre et autour des alliances en Europe et au-delà, et ce qui s’est passé pendant les grandes crises du 20e siècle, les deux guerres mondiales. Et je pense que tout le monde en Belgique est conscient des terribles conséquences de ces deux conflits pour la nation. Que pensez-vous de cela, connaissant l’histoire de votre pays, connaissant l’histoire de la période de la Première Guerre mondiale et ce que nous voyons en Ukraine ? Les conséquences de ce qui se passe chez nous aujourd’hui pourraient être à peu près les mêmes qu’en Belgique à l’époque… Combien de temps a-t-il fallu à votre pays pour se rétablir ? Quelles expériences, quelles leçons pouvons-nous tirer de l’histoire de la Belgique pour sortir plus forts de cette guerre ?

- C'est intéressant que vous fassiez ce parallèle, surtout avec la Première Guerre mondiale, car cela me vient aussi très souvent à l'esprit quand je regarde ce qui se passe en Ukraine. En effet, pendant la Première Guerre mondiale, l’ouest de la Belgique, seule partie réellement libre du pays à l’époque, ressemblait à un champ de bataille continu, parsemé de tranchées, comme on le voit aujourd’hui sur les lignes de front en Ukraine. Cette guerre fut si dévastatrice qu’il fallut plus d’une décennie pour reconstruire la région. Et j’ai aussi lu que ce n’est que dans les années 1930 que nous avons atteint le niveau d’avant-guerre en termes de population, de parc immobilier, d’usines et de bâtiments administratifs. La ville d'Ypres a été complètement rasée.

La leçon tirée de cette guerre est que nous trouvons encore aujourd’hui des munitions non explosées dans cette partie de la Belgique. J'ai lu qu'environ 150 tonnes de munitions non explosées de divers types, y compris des obus chimiques, sont extraites du sol chaque année.

C’est donc ce qui explique que la Belgique soutienne tous les outils juridiques internationaux qui ont été mis en œuvre ces dernières décennies, concernant l’interdiction des armes chimiques, des mines antipersonnel, des bombes à fragmentation, etc. C’est notre mémoire collective de cette tragédie qui nous oblige à prendre cette position sur les plateformes internationales. C’est une leçon importante que nous avons apprise, et il est intéressant de la comparer à ce qui se passe actuellement en Ukraine. On m’a dit que l’Ukraine est actuellement le pays le plus miné au monde.

Et c’est une tragédie absolue, car c’est la réalité de la guerre. Il s’agit d’une menace constante qui vous accompagnera pendant de nombreuses années après la guerre dans le cadre du déminage du pays, et c’est un véritable obstacle à la reconstruction et au redressement. Cela devrait donc vraiment être un sujet d’attention pour la communauté internationale. Nous devons en prendre conscience.

Un autre parallèle intéressant. Aujourd'hui, je voudrais être professeur d'histoire quelque part en Belgique, expliquant aux étudiants la futilité du statut neutre du pays. Lors de la création de la Belgique indépendante, cette indépendance fut tolérée à condition que nous restions un pays tampon entre les grandes puissances de l’époque et que notre neutralité soit définitivement fixée. Nous pensions qu’avec notre statut de neutralité, la Première Guerre mondiale ne nous affecterait pas. Mais l’invasion a eu lieu quand même. La situation était quelque peu différente pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la Première Guerre mondiale, nous étions dans la même situation que l’Ukraine aujourd’hui. Nous avons également recherché des garanties de sécurité fiables. Mais ce que nous avons obtenu après la Première Guerre mondiale ne nous a pas vraiment aidé à survivre à la Seconde Guerre mondiale, c'est donc une autre leçon : l'importance de garanties de sécurité fiables.

- Et pas de promesses...          

- Une leçon encore plus importante que nous avons tirée des deux guerres mondiales est qu’il n’y a pas d’autre solution pour notre sécurité que de suivre la voie du multilatéralisme, une coopération honnête entre les pays guidée par les principes fondamentaux consacrés dans la Charte des Nations Unies. Nous sommes membres fondateurs de l’Union européenne, nous sommes membres fondateurs de l’OTAN, et c’est notre mode de vie, c’est notre sécurité.

Alors, si j’étais professeur d’histoire, je dirais à mes élèves : tout ce que nous voyons maintenant en Ukraine, ce que l’Ukraine réclame et défend, c’est exactement ce que nous avons fait nous-mêmes, c’est exactement ce que nous avons considéré comme le chemin véritable et sûr vers la paix, la sécurité et la prospérité. Et ce chemin consiste à faire partie de la famille européenne, de la famille euro-atlantique et des Nations Unies, qui sont fondées sur des principes très raisonnables, fondamentaux et universels.

Yevhen Matuchenko, Kyiv

Photo : Oleksandre Klymenko

Photo : Oleksandre Klymenko

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