Mykola Tochytskyi, ministre de la culture et des communications stratégiques
Les partenaires européens vont aider l'Ukraine à préserver, protéger et évacuer notre patrimoine culturel
15.04.2025 20:49

Les 7 et 8 avril, une réunion informelle des ministres de la Culture de l'UE s'est tenue à Varsovie, et Mykola Tochytskyi, ministre ukrainien de la Culture et des Communications stratégiques, y a participé à l'invitation de la présidence polonaise de l'Union européenne.

Dans une interview accordée à Ukrinform, M. Tochytskyi a parlé des résultats de sa réunion avec ses collègues européens. Il a notamment insisté sur la nécessité de renforcer les efforts de préservation du patrimoine culturel de l'Ukraine et de poursuivre les Russes qui ont volé des objets culturels ukrainiens dans les territoires temporairement occupés. De plus, le ministre a partagé des informations sur le dialogue entre l'Ukraine et la Pologne sur le travail de recherche et d'exhumation, ainsi que sur le soutien aux médias sur la ligne de front et la restauration des objets du patrimoine culturel endommagés.

LA RUSSIE DÉTRUIT SYSTÉMATIQUEMENT ET DÉLIBÉRÉMENT LE PATRIMOINE CULTUREL DE L'UKRAINE

- Monsieur le Ministre, vous avez participé à une réunion informelle des ministres de la culture de l'Union européenne à Varsovie. Quelles questions avez-vous soulevées avec vos collègues européens et qu'avez-vous réussi à résoudre ?

- C'était une réunion informelle des ministres. Outre moi, plusieurs collègues de pays non membres de l'UE, dont le Royaume-Uni, la Norvège et l'Islande, y ont participé.

Le sujet de discussion était extrêmement important, car il s'agissait de développer la plateforme lancée pour mettre en œuvre le plan de résilience interne de l'Ukraine présenté par le président Volodymyr Zelensky à la Verkhovna Rada de l'Ukraine en novembre dernier, en particulier son point sur La Souveraineté culturelle.

Il s'agit pour les Ukrainiens d'expliquer clairement au monde qui nous sommes, pourquoi nous nous battons et pour quoi nous nous battons. En fait, chacun d'entre nous comprend que la Russie ne se contente pas de cibler des territoires et de tuer des civils. Elle détruit systématiquement et délibérément le patrimoine culturel de l'Ukraine. Un million sept cent mille pièces de notre patrimoine culturel ont été volées dans les territoires occupés : des pièces archéologiques aux collections de musées, que la Fédération de Russie s'est appropriée en violant toutes les normes possibles du droit international. Et si autrefois, quand les Russes volaient notre nom et notre histoire, ils emportaient les objets exposés dans les musées de l'Ermitage ou de Moscou, aujourd'hui ils les vendent avec succès sur le marché noir.

Grâce à la coopération avec des collègues de différents pays, nous récupérons peu à peu ces objets de valeur. Notamment, au cours des visites à l'étranger du président et de moi-même, les autorités compétentes étrangères nous ont remis à plusieurs reprises des objets saisis qui avaient été volés dans les territoires occupés et emportés à l'étranger pour être vendus sur le marché noir.

- Est-ce que les pilleurs militaires russes font cela ?

- Pas seulement. Des personnalités culturelles russes le font aussi. C'est pourquoi nous avons lancé une plateforme pour aborder les questions et les besoins prioritaires en matière de protection du patrimoine culturel. La première conférence internationale sur la culture s'est tenue à Oujgorod en février. Elle a réuni 29 délégations, dont celles de la Commission européenne et de l'UNESCO, 20 d'entre elles étant représentées au niveau des ministres et vice-ministres de la culture.

Aujourd'hui, lors de cette réunion à Varsovie, grâce au travail très professionnel de ma collègue polonaise Hanna Wróblewska, la présidence polonaise de l'UE a proposé un plan clair pour le développement de la plateforme lancée à Oujgorod. Il s'agit d'aider l'Ukraine, et donc aussi d'aider les pays européens à comprendre quelles devraient être les règles pour préserver, protéger ou évacuer efficacement le patrimoine culturel qui risque de subir des tirs ou d'être détruit pendant les conflits militaires.

J'étais le principal porte-parole sur ce sujet et j'ai présenté les principales tâches auxquelles nous sommes confrontés. Aujourd'hui, nous demandons à nos collègues de nous aider à évacuer les objets culturels et à former des spécialistes dans les domaines de l'évacuation, de la restauration et de la récupération. Nous avons d'ailleurs réussi à évacuer plus d'un demi-million d'objets culturels de 59 sites culturels de la zone de la ligne de front à 21 musées à travers l'Ukraine.

Comme je l'ai dit, des fonctionnaires russes ont également été impliqués dans le vol. En février, l'Ukraine a imposé pour la première fois des sanctions à l'encontre de personnalités russes du monde de la culture, des musées et autres. Il s'agit de 55 personnes physiques et de 3 personnes morales, dont nous avons clairement prouvé l'implication dans le vol, la destruction et la détérioration du patrimoine culturel ukrainien.

En plus de cela, nous discutons avec les États membres de l'UE et nos partenaires non membres de l'UE, sous la plateforme établie, de ce qui doit être fait, des réglementations et des capacités qu'un pays devrait avoir afin de disposer d'installations de stockage pour la préservation d'objets d'art.

Il faut comprendre qu'une installation de stockage d'artefacts est un objet très spécifique qui doit répondre aux conditions de sécurité et de climat nécessaires pour stocker des objets historiques.

Nous avons aussi discuté de la question de la numérisation du patrimoine culturel. С’est un énorme problème non seulement en Ukraine, mais aussi dans de nombreux autres pays. Pourquoi ? parce que le trafic de notre patrimoine culturel par la Fédération de Russie ne date pas d'aujourd'hui. Les guerres montrent que ce commerce se poursuivra pendant des décennies. Et pour prouver qu'il s'agit de votre propriété, vous devez disposer de catalogues et de registres clairement établis. Nous y travaillons actuellement.

Nous avons numérisé 10 à 15 % des objets de la collection des musées ukrainiens. En coopération avec des partenaires étrangers, nous avons déjà réussi à numériser 400 objets du patrimoine culturel immobilier. Le ministère a aussi lancé un projet stratégique avec Google intitulé L'Ukraine est ici. On a déjà numérisé plus de 8 000 expositions et les collections de musées ukrainiens. Cependant, nous manquons d'experts et de professionnels dans ce domaine, car de nombreux Ukrainiens sont actuellement en guerre, ainsi que de financements appropriés.

Dans le même temps, la prochaine étape consistera à présenter, lors de la Conférence de relance qui se tiendra à Rome en juillet, notre stratégie de développement culturel vers 2030, récemment approuvée par le gouvernement, ainsi que les tâches prioritaires pour la création du Fonds du patrimoine ukrainien, afin de nous aider à répondre à ces défis.

Nous demandons maintenant à nos collègues, y compris polonais, de nous aider à organiser des expositions d'œuvres d'art provenant de nos musées. Ainsi, nous promouvons non seulement la culture ukrainienne, mais nous assurons aussi la sécurité de nos collections.

LES COLLECTIONS D'ART UKRAINIEN SONT EXPOSÉES DANS PRÈS DE 15 PAYS EUROPÉENS

- Par exemple, comme dans le cas du musée Khanenko au château royal de Varsovie...

- Oui. Il s'agit de l'une des plus grandes et des meilleures collections d'Ukraine. Et je suis fier que ce soit la solution de nos collègues polonais. Depuis le début de l'invasion russe, 162 collections ukrainiennes ont été déplacées pour être restaurées et exposées à l'étranger. Aujourd'hui, de nombreuses collections ukrainiennes sont présentées dans une quinzaine de pays, dont la Pologne, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Lituanie et la Belgique. Presque tous les pays de l'UE nous aident dans ce domaine, aussi longtemps que nous construisons nos installations de stockage. Celles-ci peuvent d'ailleurs avoir une double utilité : pendant la guerre, pour les personnes, et après la guerre, pour nos objets d'art.

- Comment vos collègues européens ont-ils réagi à vos initiatives et à vos propositions ?

- Le commissaire européen chargé de l'égalité entre les générations, de la jeunesse, de la culture et du sport, Glenn Micallef, a envoyé un questionnaire à ses collègues ministériels avec une demande claire : Répondre aux tâches soulevées par le ministre ukrainien de la culture qu'ils peuvent accomplir.

Par exemple : préserver l'exposition, fournir des fonds, aider à former des restaurateurs et des experts ukrainiens, etc. La Commission européenne sera le centre où toutes les informations seront rassemblées. Nous avons aujourd'hui une réponse claire du commissaire européen C. Micallef. Et avec l'aide de nos collègues de la Commission européenne, nous serons en mesure de gérer les processus et de comprendre où, avec qui et comment nous travaillerons sur ces questions à l'avenir. La prochaine réunion des ministres de la culture de l'UE permettra d'apporter des précisions sur cette question.

- Monsieur le Ministre, en décembre de l'année dernière, un groupe de travail ukrainien-polonais a été mis en place pour traiter les questions complexes des relations bilatérales. Quels sont les résultats des travaux de ce groupe ?

- Nos équipes travaillent de manière harmonieuse et professionnelle. À ce jour, les groupes de travail ont tenu trois réunions, dont la dernière a eu lieu le 30 mars. Nous avons échangé des listes de lieux où nous souhaiterions effectuer des recherches et des exhumations.

Nous avons ainsi reçu une réponse positive de la part des Ukrainiens et des Polonais, sur une base paritaire, pour effectuer ces tâches.

Après les premiers travaux de recherche ou d'exhumation, avec notre collègue polonais, nous publierons une déclaration et informerons en détail les sociétés des deux pays des résultats obtenus.

- Quand les travaux commenceront-ils dans ces lieux situés des deux côtés de la frontière ?

- Nous discutons actuellement en détail de toutes les questions logistiques concernant les deux sites et les participants à la recherche. Je pense que nous annoncerons tout dans un avenir proche. Nous sommes d'avis que tout doit être fait dans le respect du droit international et de la législation nationale.

- Ces travaux seront réalisés en Ukraine pendant la phase chaude de la guerre. Comment pouvez-vous assurer la sécurité des participants et éviter toute action ou acte de sabotage ?

- La question de la sécurité est absolument essentielle et les deux pays doivent y répondre. Quand j'ai parlé d'une approche professionnelle et compétente des activités de nos groupes, nous avons également abordé cette question. Nous garantirons la sécurité des participants à ces activités, mais je n'entrerai pas dans les détails pour l'instant.

- En plus des deux premiers permis, devons-nous nous attendre à un autre permis pour les travaux de recherche et d'exhumation cette année ?

- Nous y travaillons.

L'UKRAINE DISCUTE AVEC L'UE DE LA POSSIBILITÉ D'UNE AIDE AUX MÉDIAS RÉGIONAUX

- Le ministère a annoncé la semaine dernière un concours pour la création de journaux destinés aux habitants de la ligne de front et des territoires désoccupés. A quel point ce projet est-il actuel ? Selon vous, quelle est l'efficacité du travail d'information mené avec la population de la ligne de front et des territoires désoccupés ?

- C'est un aspect très important. Nous sommes en dialogue constant avec le public et les médias régionaux dans ces territoires. Il ne faut pas oublier que dans certains endroits, il n'y a pas d'Internet. Deuxièmement, l'USAID, qui aidait beaucoup les professionnels des médias régionaux, a quitté l'Ukraine.

Lors d'une réunion avec le commissaire européen C.Micallef, nous avons discuté de la manière de compenser le manque de financement précédemment fourni par les États-Unis par l'utilisation de fonds européens. Dix millions d'euros ont récemment été alloués aux activités des médias indépendants, et nous continuerons à travailler dans ce sens. Les dirigeants de l'État et le gouvernement feront tout leur possible pour que notre presse régionale puisse continuer à travailler. Sinon, il sera très difficile de mettre en œuvre la politique d'information.

- Le ministère a récemment mis à jour les données sur le nombre de sites du patrimoine culturel et d'infrastructures culturelles touchés par l'agression russe. Comment évaluez-vous l'état de la coopération internationale, notamment avec l'UNESCO et les ambassades étrangères, en ce qui concerne l'enregistrement des crimes, la mise en évidence de leur ampleur et l'élaboration d'une stratégie de reconstruction de ces sites ?

- Nous avons une coopération efficace et très bonne entre le ministère de la culture et des communications stratégiques et le bureau du procureur général. C'est une très bonne nouvelle que les forces armées de l`Ukraine aient créé une unité qui non seulement enregistre les crimes mais aussi facilite les évacuations et les recherches avec des experts professionnels qui sont dans les rangs des forces armées.

Un élément très important, que j'ai déjà mentionné, est la numérisation du patrimoine culturel de l'Ukraine. Sans cela, il sera difficile de discuter avec les partenaires internationaux, y compris l'UNESCO, les pays de l'UE et tous les autres pays de bonne volonté sur la manière de nous aider. Nous devons donc faire nos devoirs. Une fois le dossier correctement préparé, il sera remis à nos partenaires internationaux.

Nous collaborons désormais très efficacement avec l'UNESCO et d'autres institutions internationales pour la protection du patrimoine culturel afin d'enregistrer ces crimes et les transférer aux autorités judiciaires internationales compétentes à l’avenir. Cela nous permettra d’avoir droit à la protection auprès des institutions internationales.

Sur la longue liste de sites du patrimoine culturel sous la protection de l'UNESCO en Ukraine, deux ont déjà souffert des bombardements russes. Il s'agit en particulier de Derjprom à Kharkiv et de la Philharmonie David Oistrakh à Odessa. Au cours de ce bombardement à Odessa, 16 objets ont été endommagés, dont l'hôtel Bristol et l'opéra national d'Odessa. Notre tâche est donc d'enregistrer, de transmettre, de numériser et de déposer une demande auprès des tribunaux internationaux. Nous sommes satisfaits, à ce stade, de la coopération avec nos partenaires internationaux.

- L'église Saint-Nicolas à Kyiv a été endommagée en décembre dernier par des fragments de fusée. Quand la restauration du bâtiment religieux sera-t-elle achevée et la participation des partenaires internationaux, dont l'UNESCO, est-elle prévue ?

- Cette question est très importante car l'église Saint-Nicolas est d'une grande importance pour la préservation de notre patrimoine culturel. Les problèmes de l'église ne peuvent pas être résolus uniquement par un financement de l'UNESCO.

Il faut une approche globale de la question, nous devons tout restaurer. Pour une restauration complète, nous devons collecter des fonds, ce qui prend du temps. Nous communiquons avec des partenaires internationaux, et pas seulement avec l'UNESCO, pour inclure cet objet dans le Fonds du patrimoine ukrainien en vue de sa restauration future.

Cet objet doit être restauré en priorité pour que la communauté catholique romaine puisse l'utiliser. D'autre part, il convient de rappeler que nous avons 5 483 sites d'infrastructures culturelles et touristiques qui ont été complètement ou partiellement détruits. Selon les estimations du gouvernement ukrainien, de la Banque mondiale et de l'ONU, la Russie a causé 3,5 milliards de dollars de dommages au secteur culturel ukrainien. Aucun pays au monde n'est en mesure de tout restaurer en une seule fois. Cela prendra du temps.

Yuriy Banahevych, Varsovie

Photo : ICCC

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