Oleksiy Kouleba, chef adjoint du Bureau du Président
Au sein de la société, chaque défi doit être une opportunité pour nous de créer quelque chose de meilleur
L'invasion à grande échelle des forces russes a été le révélateur de nombreux processus en Ukraine, y compris la capacité des communautés et des autorités locales à résoudre des problèmes urgents, à prendre rapidement des décisions extraordinaires et à collaborer entre elles.
La politique régionale au sein du Bureau du Président est supervisée par Oleksiy Kouleba, chef adjoint du Bureau du Président, qui est également le Secrétaire exécutif du Congrès des autorités locales et régionales, mais qui n'apparaît pas très souvent dans les médias.
Ukrinform a discuté avec M. Kouleba de la coopération entre les dirigeants régionaux et locaux, de la reconstruction et de la restauration des villes et des villages ukrainiens, du sort de la réforme de la décentralisation et de la manière dont les citoyens de l'arrière peuvent aider ceux qui se trouvent directement sur la ligne de front.
NOUS AVONS COMPLÈTEMENT BOULEVERSÉ LA VISION DU MONDE DES PAYS EUROPÉENS, DES LEADERS MONDIAUX, ET NOUS DEVONS MAINTENANT LE GARDER
- L'Ukraine vient de célébrer son 32e anniversaire d'indépendance, pour la deuxième fois en temps de guerre à grande échelle, lorsque la lutte séculaire contre la Russie a atteint son apogée. Que signifie l'indépendance pour vous ?
- Du point de vue de notre vision du monde, nous divisons le temps de l'indépendance de l'Ukraine en certaines étapes, dont chacune a été marquée par divers changements. Les révolutions qui ont eu un impact considérable sur nous tous, le début de l’invasion par la Russie, et huit ans plus tard, l'invasion à grande échelle, ont uni et unissent toujours notre peuple, renforcent notre pays.
Mais il me semble que l'essentiel est que nous avons montré au monde entier qu'il y a une nation ukrainienne, un peuple libre, capable de résister à l'ennemi au 21e siècle, non pas seulement par des mots, mais aussi par les armes, face à un adversaire bien plus grand et disposant de plus de ressources naturelles.
Au cours des premiers mois de l'invasion à grande échelle, nous avons complètement bouleversé la vision du monde des pays européens, des leaders mondiaux, et maintenant nous devons maintenir cette position. La maintenir non seulement sur la scène internationale, mais aussi à l'intérieur de notre société – maintenir notre unité. Pour que, après notre victoire, nous devenions encore plus forts et plus résolus.
- Au sein du Bureau du Président, vous coordonnez la politique régionale et vous êtes constamment en contact avec les autorités locales, les différentes régions... Que voyez-vous sur le terrain ? N'avons-nous pas perdu l'unité des premiers mois de la grande guerre ? Y a-t-il une consolidation entre les gouvernements locaux et le gouvernement central, les autorités régionales, les militaires ?
- La guerre a un impact significatif sur la vie des régions, qui, en fonction des problèmes auxquels elles sont confrontées, des questions à l'ordre du jour et des tâches en cours, requièrent des solutions différentes.
D'une part, ce sont les régions qui sont sous l'influence de combats actifs. Il s’agit notamment de nos régions de Kherson, Zaporijjia, Kharkiv, Donetsk et Louhansk. Là-bas, l'ordre du jour est différent des autres régions, car tout dépend des événements et des défis sur le front. Les questions de sécurité et de défense sont au premier plan, non seulement dans les médias ou les réseaux sociaux, mais ce sont les réalités de chaque minute de la vie des personnes qui y vivent. Nous ne devons pas l’oublier, il faut en être conscient et en parler constamment.
L'ordre du jour dans les régions du Centre de l'Ukraine – la région de Kyiv, les régions désoccupées de Tchernihiv et de Soumy – est quelque peu différent, bien que ces deux dernières régions subissent également des tirs quotidiens. Néanmoins, les questions et les problèmes sont également très similaires, car ils concernent avant tout les défis de sécurité de nos citoyens.
Un autre aspect concerne notre arrière, les régions de l'ouest de l'Ukraine. Ce sont les régions qui doivent diriger tous leurs efforts pour aider ceux qui souffrent le plus des combats. Les gens qui défendent notre pays sur le champ de bataille.
- Dans quelle mesure la coopération entre les régions est-elle efficace ?
- Si l'on parle du gouvernement, des différentes branches du pouvoir, elles travaillent toutes ensemble de manière efficace. Nous séparons clairement les questions politiques et orientons actuellement tous nos efforts vers la défense. La coopération se fait en étroite coordination avec les militaires, ce que nous devons constamment rappeler. Ce facteur est actuellement essentiel, car la résolution de la plupart des questions et des problèmes dépend des militaires.
- La création d'administrations militaires qui fonctionnent aux côtés des organes d'autonomie locale ne crée-t-elle pas de concurrence entre les branches du pouvoir, ou une dilution des responsabilités, ou, au contraire, un transfert des pouvoirs vers le niveau local ?
- Aujourd'hui, les administrations militaires relèvent les défis du temps présent. Il y a tellement de questions qui, à l'heure actuelle, ne peuvent pas être résolues de manière conventionnelle, mais nécessitent des décisions opérationnelles, des décisions militaires, une coordination avec tous les représentants du pouvoir. Kherson, Zaporijjia, Kharkiv, Donetsk et Louhansk sont des régions soumises à des bombardements constants... Le nombre de questions et de problèmes quotidiens y est tellement important qu'il est tout simplement impossible de faire autrement que de réagir à tout et d'assumer ses responsabilités rapidement.
Et ce n'est pas une question de concurrence, mais de faire tout ce qui est possible pour gagner.
Les maires des villes collaborent activement avec les administrations militaires.
Par exemple, à l'ordre du jour actuel, disons, il y a la période automne-hiver, et notamment une liste de questions liées au secteur municipal des villes, ainsi qu'à l'approvisionnement en énergie de la région et à la sécurité des infrastructures critiques.
Et en ce qui concerne la composante de sécurité, c'est un tout autre ordre du jour. Chaque maire de ville a intérêt, avant tout, à avoir une interaction avec chef de l'administration militaire régionale le gouverneur militaire régional, avec les militaires. Et vice versa. C'est pourquoi aujourd'hui, nous ne pouvons parler que de coordination conjointe.
UNE QUESTION IMPORTANTE CONCERNANT L'ACHÈVEMENT DE LA RÉFORME DE LA DÉCENTRALISATION EST LE CONTRÔLE ET LA SURVEILLANCE DES DÉCISIONS DES AUTORITÉS LOCALES
- Dans de telles conditions, la réforme de la décentralisation reste-t-elle pertinente ? Avant l'invasion à grande échelle, si je ne me trompe pas, le pays en était au stade de la régularisation du contrôle exercé par le gouvernement central sur les décisions prises par les autorités locales. Pouvons-nous poursuivre la réforme pendant la grande guerre ?
- Non seulement l'Ukraine peut poursuivre la réforme, mais elle le fait dans le contexte de l'invasion à grande échelle. Aujourd'hui, l'Ukraine a placé la barre très haut, notamment devant ses partenaires internationaux. Une question importante concernant l'achèvement de la réforme est le contrôle et la surveillance des décisions des autorités locales. Et cela doit être avant tout un contrôle de la part du public. Et nous devons en tenir compte dans nos lois, car le public est un acteur direct des événements politiques qui se déroulent au niveau local. Cela n'exclut bien sûr pas la présence d'un contrôle de la part des organes du pouvoir central. Cela doit également être ancré dans la législation.
La décentralisation a rendu nos communautés beaucoup plus fortes. La réforme n'est pas arrêtée. Au cours de cette année et demie, nous avons appris à la fois à faire la guerre et à nous réformer, à travailler sur la législation afin d'adhérer à l'UE le plus rapidement possible.
Certes, nous poursuivons quotidiennement le dialogue sur la réforme de la décentralisation. Des consultations sont en cours, la société civile et le Ministère de la Restauration participent au processus, ainsi que le comité compétent de la Verkhovna Rada. Le Bureau du Président et moi-même sommes également impliqués dans ce processus.
- Le Président Volodymyr Zelensky s'est adressé à plusieurs reprises aux citoyens des villes à l'arrière pour qu'ils aident davantage les forces de défense. Le Ministre de la Défense, Oleksiy Reznikov, a récemment déclaré que la guerre pourrait durer longtemps, que les Ukrainiens devraient se préparer à ce que tout le monde puisse être mobilisé. Bien sûr, beaucoup de gens ont décidé dès 2014 de quelle manière ils aideraient le pays, certains l'ont fait le 24 février – depuis, ils livrent des voitures aux militaires, tissent des filets de camouflage, préparent des friandises, etc. D'autres personnes sont massivement prêtes à aider, mais ne savent peut-être pas comment s'y prendre ou à qui s'adresser. Que proposent les autorités aux citoyens pour s'assurer qu'ils disposent d'informations sur ce qu'il faut faire, où et comment ?
- Tout d'abord, il faut que chacun fasse son travail à la place qui est la sienne. Par exemple, dans la région de Kherson, on continue toujours à gérer les conséquences de l'attaque terroriste russe contre la centrale hydroélectrique de Kakhovka, et des gens de toute l'Ukraine y travaillent. Il s'agit de personnes venues de différentes villes, d'employés d'entreprises de services publics, qui sont aux côtés des habitants de Kherson depuis plus de deux mois et leur apportent le type d'aide dont vous parlez.
Nous avons également le programme « Сôte à côte », – une initiative pilote qui correspond pleinement à la demande d'implication des gens dans l'aide au pays. Dans le cadre de ce projet, 15 régions ont envoyé leurs employés pour aider à restaurer les communautés de la région de Kherson. Ils ont déjà restauré plus de 400 installations.
Les principes du parrainage et des liens interrégionaux fonctionnent très bien. Et si vous visitez les communautés, les foyers, les gens auxquels les employés des régions de Rivne, de Frankivsk, de Ternopil sont venus pour restaurer leurs logements, vous verrez ce que signifie l'unité nationale en action. Il y a des émotions incroyables. Donc, lorsque nous parlons de la nécessité d'agir non pas par des slogans, mais par des actions réelles, c'est précisément cette approche que nous avons en tête.
- « Сôte à côte » est actuellement mis en œuvre uniquement dans la région de Kherson, prévoyez-vous de lancer ce programme dans d'autres régions touchées par l'agression russe ?
- Oui, nous avons l'intention d'élargir ce projet. Et nous souhaitons le faire non seulement en termes d'expansion régionale. Nous voulons qu'il ne se limite pas uniquement à la rénovation des bâtiments. Bien que cela réponde à une demande importante de la population et soit bien entendu une priorité. Mais nous avons également l'idée de l'étendre à d'autres domaines tels que le social, la culture et le sport.
- Lorsque nous parlons de restauration, l'État et le Bureau du Président ont-ils une vision de ce à quoi devrait ressembler l'Ukraine de demain ? Quelle est la stratégie de reconstruction de l'infrastructure et de l'économie ? Par exemple, après la désoccupation de la région de Donetsk, envisagez-vous de mettre à nouveau l'accent sur la métallurgie, les mines ou peut-être le développement de l'agriculture ?
- Il s'agit d'une grande série de questions, et il existe actuellement une grande demande pour les réponses. Dans son discours devant la Verkhovna Rada, le président (le 28 juin, M. Zelensky a proposé que la société participe à la discussion sur la doctrine de l'avenir de l'Ukraine - ndlr) a beaucoup parlé de la vision du développement, invitant la société à répondre à des questions fondamentales sur l'avenir de l'Ukraine dans les 5 à 10 prochaines années.
Rappelons les étapes du développement de notre pays, les points déterminants – les révolutions de 2004, de 2014 et d'autres étapes très importantes. Qu'est-ce qui s'est passé ? La société civile se formait bel et bien, mais au fil du temps, nous n'avons pas vu les changements qu'une grande partie de la population réclamait. Et, à mon avis, cela était dû au fait qu'il n'y avait pas de soutien institutionnel à la demande exprimée par les Ukrainiens.
La doctrine est aujourd'hui une occasion unique de définir nos priorités pour le très long terme : ce que sera notre pays, non seulement sur le plan économique, mais aussi au niveau de la culture et de l'information.
- Quand la société pourra-t-elle voir ces visions ?
- Il s'agit d'un dialogue important qui ne peut être mené par le président seul, avec la Verkhovna Rada et le gouvernement. Ce n'est pas possible. Il y aura des discussions avec les gens, avec la société civile.
Il y a un grand nombre de questions que, je suis sûr, nous verrons bientôt dans l'espace public.
À l'heure actuelle, le Conseil de sécurité nationale et de défense travaille avec les institutions gouvernementales et a envoyé des demandes à tous les acteurs afin de recueillir des informations et d'analyser leurs propositions.
Ensuite, nous suivrons le principe régional et nous en discuterons dans un cercle élargi. C'est ainsi que doit naître la doctrine ukrainienne de notre avenir.
EN TEMPS DE GUERRE, NOUS DEVONS FAIRE RAPIDEMENT MAIS EFFICACEMENT CE QUI EST EN NOTRE POUVOIR ICI ET MAINTENANT
- Cependant, la reconstruction est déjà en cours. C'est-à-dire que le pays est en train de réparer et de restaurer ce qui a été détruit. Les projets d'avenir ne sont pas encore à l'ordre du jour ?
- Il y a une guerre en cours. La décision sur la manière dont la reconstruction doit être effectuée a été prise l'année dernière. Je pense que cette décision est bonne et efficace. Elle a permis à des dizaines de milliers de citoyens de retourner chez eux parce que le gouvernement a décidé de procéder d’abord à des réparations rapides – remplacement des toits, installation de fenêtres, etc.
Après cela, certains changements sont intervenus au sein du gouvernement, deux grands ministères ont fusionné et une structure verticale claire a été mise en place pour traiter les questions de reconstruction – à la fois celles liées aux réalités d'aujourd'hui, aux questions opérationnelles et à la stratégie. Cette responsabilité incombe désormais à Oleksandre Koubrakov, Vice-Premier Ministre et Ministre du Développement des Communautés, des Territoires et des Infrastructures. Ils ont accompli un énorme travail en préparant une vision de la politique de reconstruction. Et maintenant, ils communiquent à la fois à l'intérieur du pays et avec les partenaires internationaux.
Mon opinion est que pendant la guerre, nous devons vraiment faire rapidement mais efficacement ce que nous pouvons faire ici et maintenant. Après la guerre, après notre victoire, nous devons clairement atteindre un nouveau niveau de qualité qui répondra aux besoins et aux problèmes que la société a traversés.
- Vous avez mentionné nos partenaires internationaux. Qu'est-ce que l'Ukraine leur offre – son potentiel ou des projets concrets ? Dans quelle mesure les entreprises étrangères sont-elles disposées à investir chez nous ? Peut-être y a-t-il des accords sur le début de leur travail, mais après la victoire ?
- C'est une matrice qui fonctionne à la fois verticalement et horizontalement. Il y a des pays, comme le Danemark, qui ont clairement dit qu'ils se chargeraient de la reconstruction de la région de Mykolaïv, et ils le font déjà très efficacement. Il y a aussi des entreprises danoises qui ne sont pas encore actives en Ukraine, mais il est certain qu'elles le seront immédiatement après la victoire.
L'Estonie travaille de la même manière dans la région de Jytomyr, la Lituanie aide... Il y a des exemples d'autres pays dans d'autres régions.
Mais il y a aussi un autre format de coopération, plus sectoriel, où des entreprises ou des fondations internationales viennent et veulent travailler spécifiquement dans un secteur particulier. Notre tâche est de coordonner tout cela.
- Y a-t-il beaucoup d'entreprises qui sont prêtes à venir ?
- Il y a de nombreux fonds internationaux, de nombreuses organisations internationales qui viennent. En ce qui concerne les entreprises, elles sont également présentes. Bien sûr, pour les entreprises, les régions de l'ouest de l'Ukraine sont actuellement prioritaires.
Pour résoudre la question de l'arrivée des entreprises et des investissements, nous devons résoudre la question de l'assurance des risques auxquels les entreprises seront confrontées ici.
Il est important de coordonner le processus d'attraction des investissements étrangers. C'est pourquoi, dans le cadre de notre Congrès des pouvoirs locaux et régionaux autorités locales et régionales, nous avons créé des bureaux régionaux de coopération internationale auprès des administrations militaires régionales. Ils ne sont chargés que de l'échange d'informations entre les communautés territoriales et l'administration militaire régionale d'un côté, et les organisations internationales et les fondations de l'autre. Bien sûr, cela se fait en fonction de la demande.
Olena Lytvynenko
Photo : Kyrylo Tchoubotine